Attaquées sur leurs métiers et marchés, les banques de financement et d’investissement (BFI) européennes perdent depuis quelques années du terrain face à la concurrence américaine. Si des raisons conjoncturelles existent, le durcissement de la réglementation et le retard pris dans l’industrialisation et la digitalisation de leurs activités prédominent, tout comme la montée en puissance de financements alternatifs.
Le 9 octobre 2018. Dans son CIB Outlook, le cabinet européen de conseil Eurogroup Consulting part du constat que les BFI européennes ont vu leur part de marché chuter de 50% à 33% en 10 ans avec une baisse de 25% de leur chiffre d’affaires global en 5 ans, de 82 à 61 Mrds €. Les défis que les BFI européennes doivent relever sont nombreux sous peine de voir l’écart se creuser encore davantage avec leurs homologues outre-Atlantique. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette chute.
D’un point de vue conjoncturel, les banques américaines bénéficient d’avantages concurrentiels importants qui sont liés à leur structure de marché et au contexte réglementaire plus souple que celui en vigueur en Europe et qui a par ailleurs sanctionné lourdement certaines banques européennes. Au Royaume-Uni, la règlementation accommodante en faveur des banques de la City dans un monde post BREXIT renforcerait la perte de compétitivité des banques du continent.
Mais surtout, au-delà de plans de restructuration plus avancés aux US, les BFI européennes souffrent du retard pris dans la transformation industrielle et digitale, une révolution bien mieux appréhendée aux Etats-Unis. Cette transformation nécessite une refonte combinée des modèles métiers et opérationnels en proposant une approche qui place le client au cœur (« Client Centric »), embrassant non seulement les systèmes d’information de la banque, son organisation, mais aussi les modèles hiérarchiques et l’éventail des compétences à faire cohabiter au sein de la banque.
Le digital devient plus que jamais un levier essentiel de la performance. Il contribue à changer durablement la façon dont un métier est opéré par une BFI, entrainant des impacts forts sur les revenus et les coûts. L’un des facteurs clé de succès de cette transformation digitale repose sur la juste identification des cas d’usage et la maturité de la technologie ; mais aucune transformation digitale en profondeur ne se fera sans mobiliser les équipes de la naissance du projet jusqu’à sa mise en œuvre effective.
Eurogroup Consulting recommande de cibler les projets de transformation en mettant l’accent sur l’expérience client. C’est à ce prix que les BFI européennes gagneront en résilience dans un contexte macro-économique incertain.
Les BFI européennes sont aussi défiées sur leur cœur de métier, i.e. le financement de l’économie. L’arrivée de nouveaux acteurs comme les « non-bank financial institutions » fragilise les acteurs historiques par leur disruption partielle du marché. En 2017, les financements dits alternatifs s’élevaient à 550 Mrds $ et devraient atteindre 1000 Mrds $ en 2022 ! Si les BFI européennes ont déjà commencé à se diversifier en se positionnant aussi sur ces marchés de financements alternatifs, le risque reste important et le défi à relever de taille.
Ces changements profonds demandent aux acteurs traditionnels bancaires en Europe une adaptation accélérée. Eurogroup Consulting estime que le banquier de demain va devenir un « banquier augmenté », i.e. un banquier qui par le biais des nouvelles technologies passera davantage de temps sur un éventail plus large de tâches à valeur ajoutée. Toutefois, cette évolution restera une chimère si les banques européennes ne posent pas dès maintenant les jalons de leur propre transformation.
« Perte de part de marché, contraintes réglementaires accrues, retard dans la digitalisation : les banques européennes ont de sérieux défis à relever. Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins pour réinventer la banque d’investissement et de financement du futur, agile et résiliente. C’est un enjeu de survie et de souveraineté européenne. »
Pierre Reboul, Partner, Global Head of Wholesale Banking Practice, Eurogroup Consulting