Interview de Rémi Legrand, associé du secteur banque finance chez Eurogroup Consulting, parue dans Option Finance n°1548 du 2 mars 2020.
Première banque d’Italie, Intesa Sanpaolo vient de lancer une offre publique sur UBI Banca, troisième établissement du pays, pour près de 5 milliards d’euros. Ce projet de mégafusion bancaire constitue-t-il une surprise ?
Les velléités de rapprochement de ces deux acteurs n’étaient pas spécialement connues. En revanche, il n’est pas surprenant de constater qu’une telle opération soit engagée en Italie. A l’instar de son pendant allemand, le marché bancaire transalpin reste en effet fragmenté. Par ailleurs, il compte encore de nombreux acteurs fragiles financièrement. Ces deux paramètres tendent à favoriser un mouvement de consolidation sectorielle.
Alors que la banque HSBC cherche actuellement à céder sa banque de détail en France et que le directeur général de la Société Générale, Frédéric Oudéa, s’est récemment dit prêt à jouer un rôle actif en cas de consolidation bancaire en Europe, anticipez-vous une vague de rapprochements dans les prochains mois ?
En raison de la politique monétaire accommodante menée par la Banque centrale européenne, l’environnement de taux bas est appelé à perdurer dans la zone euro. Dans ce contexte, la pression sur la rentabilité des établissements bancaires va demeurer extrêmement forte, les contraignant ainsi à continuer de s’adapter. Si les résultats 2019 récemment publiés par les principaux d’entre eux sont globalement de bonne facture, cette situation tient en partie aux efforts importants consentis pour diminuer les coûts. Cette tendance devrait se poursuivre cette année, à travers notamment la recherche d’automatisation d’un nombre croissant de tâches et de l’accélération des investissements dans les services digitaux. En parallèle, il ne faut pas exclure la réalisation de fusions, ces dernières s’imposant comme une variable pouvant permettre de dégager des économies d’échelle et d’investir de manière plus conséquente dans la transformation numérique en cours.
Sans une volonté politique forte pour aller plus loin dans lʼharmonisation des cadres réglementaires en Europe, des fusions bancaires transfrontalières dʼampleur semblent peu probables.
Ces rapprochements éventuels pourraient-ils être transfrontaliers ?
Si fusions il y a, elles seront selon moi principalement domestiques. En dépit des avancées réalisées au cours des dernières années dans la mise en place d’une Union bancaire, les cadres réglementaires restent hétérogènes en Europe. Ce faisant, un nouvel ensemble bancaire rencontrerait des difficultés à utiliser ses ressources issues d’un pays pour les allouer dans un autre, par exemple sous la forme de crédits, réduisant mécaniquement l’intérêt d’une telle opération. Sans une volonté politique forte pour aller plus loin dans l’harmonisation des règles, des transactions transfrontalières d’ampleur semblent peu probables, d’autant qu’elles impliqueraient pour les groupes concernés de renforcer leurs fonds propres – conformément aux obligations relatives à la réglementation bâloise.
A ce titre, je m’attends davantage à des opérations ciblées. Certains acteurs devraient en effet chercher à céder leurs actifs les moins rentables afin de se renforcer sur leurs marchés les plus attractifs, à l’image de HSBC qui se repositionne sur l’Asie. Dans cette logique d’arbitrage, les banques pourraient se montrer plus enclines à racheter des pans d’activité de leurs concurrentes, plutôt qu’à acquérir un établissement dans sa globalité.