La propagation du Covid-19 dans le monde affecte toute la chaîne de valeur du secteur aérien, de la construction des avions aux opérations aériennes, tant pour les activités passage que fret. Les décisions prises sont inédites et radicales : arrêt des chaînes de production, suspension totale des vols, fermeture de terminaux, etc. Face à une crise sans précédent dans l’histoire du transport aérien, une véritable transformation du secteur s’opère.
Une aide d’urgence nécessaire
Alors que le Covid-19 est en pleine phase d’expansion en Europe, devenue l’épicentre mondial de l’épidémie, les compagnies aériennes sont confrontées à deux phénomènes défavorables, à l’origine d’une chute du trafic sans précédent (-70 à -90% selon les compagnies). D’une part, les fermetures de frontière décidées par les états, imposent une réduction de l’offre de vols. D’autre part, les réticences des clients à voyager (tant particuliers qu’entreprises), se traduisent par une baisse de la demande.
D’un point de vue économique, c’est une double peine pour les compagnies aériennes. A court terme, tout d’abord, elles doivent gérer une cascade d’annulations et de remboursements. Mais surtout, à moyen terme, elles doivent faire face à une baisse drastique des volumes de réservations, c’est-à-dire de leur principal flux de trésorerie.
Or, dans une récente étude (17/03/2019 – COVID19 Airlines’ Liquidity Crisis), l’IATA annonçait que 75% des compagnies disposent de moins d’un mois et demi de trésorerie. Aussi, face à une crise dont l’ampleur est aujourd’hui encore difficile à déterminer, la question de la survie de bon nombre de compagnies aériennes se pose.
D’ores et déjà, plusieurs états ont promis d’aider le secteur aérien. Ce soutien prendra différentes formes :
- financement du chômage partiel
- report ou exemption de taxes
- garantie de prêts
- subventions directes
- renationalisation
Tout semble permis, tant la crise est forte et globale. A ce jeu, c’est l’Italie qui va le plus loin en annonçant la nationalisation d’Alitalia. Le transporteur italien moribond, qui n’a pas réussi à séduire d’investisseurs privés en plus de 2 ans, est aujourd’hui au bord de la faillite. Paradoxalement, c’est donc la crise actuelle qui va le sauver : l’Etat italien se fait fort d’agir aujourd’hui sans se voir accuser d’aide publique illégale et de concurrence déloyale.
"La crise que traverse le secteur est plus grave et étendue que l'après 11 septembre, l'épidémie de SRAS ou la crise financière mondiale de 2008"
Alexandre de Juniac, Directeur Général IATA (International Air Transport Association)
Dans un tel contexte d’interventionnisme, il appartient à chaque compagnie de se tourner vers son autorité de tutelle pour obtenir un soutien essentiel. Pour se faire, elles feront valoir un statut de transporteur national ou en mettront en avant leur rôle essentiel joué dans le rapatriement de ressortissants bloqués à l’étranger. Après l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les Etats scandinaves sont les premiers en Europe à concrétiser un soutien à leurs transporteurs. Etats-Unis, France et Royaume-Uni ont également affiché cette semaine leur volonté de soutenir le secteur, et le détail des modalités est attendu dans les prochains jours.
Stratégie de soutien des Etats au secteur aérien (en date du 21/03/2020)
Par ricochet, tout l’écosystème aérien est impacté
Les aéroports sont mécaniquement impactés par le Covid-19 sur l’ensemble des activités dont ils tirent leurs revenus : les redevances aéroportuaires, l’activité cargo/fret, le travel retail et les services extra-aéronautiques
L’impact sur les services extra-aéronautiques est directement lié à la désertion voire la fermeture de terminaux. La baisse de revenus issus des redevances aéroportuaires va très rapidement se concrétiser. Ainsi certains aéroports (comme Paris Aéroport) vont proposer, dans un esprit de solidarité collective, de ne pas facturer aux compagnies l’immobilisation au sol de leurs flottes. Tandis que les 3 grandes alliances de compagnies aériennes appellent à une diminution majeure des taxes aéroportuaires.
L’ACI (Airport Council International) évalue une baisse des revenus du secteur aéroportuaire à 4,2 Milliards $, dont 1 Mds$ pour la région Europe. Or les gestionnaires d’infrastructures doivent engager des moyens réglementaires pour assurer la sûreté et la sécurité des opérations, qui représentent autant de coûts incompressibles. Tout l’enjeu réside donc dans une réflexion globale sur les coûts (CAPEX + OPEX) de maintien et de développement des infrastructures et opérations aéroportuaires. Car les projets ne sont pas gérés sur les mêmes horizons temps que la gestion des flux (avions, passagers, bagages, cargo).
Au-delà des compagnies aériennes et des aéroports, qui sont en première ligne, c’est tout l’écosystème du secteur aérien qui se trouve fragilisé. En amont de la chaîne de valeur, les constructeurs Boeing et Airbus anticipent déjà un report des livraisons, voire des annulations d’avions, notamment sur le segment long-courrier. Air Asia X prévoit de reporter la livraison de 78 A330neo. Emirates, quant à lui, cherche à décaler la réception des ces huit derniers A380. Air Canada annonce également l’annulation de 11 Boeing 737MAX. Dans ce contexte, Airbus a annoncé l’arrêt pour 4 jours de ses sites de production en France et en Espagne.
"L’aérien est en crise, il dévisse. L’année à venir s’annonce terrible et le secteur mettra du temps à s’en remettre"
Thomas Juin, Président Directeur Général de l’Union des Aéroports Français
Il est toutefois à noter que la situation actuelle permet également à Boeing, empêtré depuis plus d’un an dans la crise du 737MAX, de subir moins de pression des compagnies aériennes pour la remise en ligne rapide de l’appareil. Elle lui permet aussi de réclamer au gouvernement américain 60 milliards de dollars d’aide pour lui-même et ses fournisseurs, au seul prétexte de la crise du #COVID19.
A l’autre bout de la chaîne de valeur, les agences de voyage et site de vente en ligne, sont également soumis à des annulations et demandes de remboursement massives qui menacent leur survie.
A moyen/long terme, une accélération de la transformation du secteur
Benjamin Smith, PDG du groupe Air France – KLM a récemment souligné la résilience du secteur aérien. Une manière de rappeler que chaque crise agit comme un catalyseur dans la mise en place de tendances de fond.
Compte-tenu du nombre d’avions cloués au sol par les compagnies aériennes, le Coronarivus devrait être l’occasion d’une réflexion sur leur stratégie de flotte :
- Mode de financement des appareils : la crise actuelle prouve qu’il est plus facile d’immobiliser un appareil acheté en propre et amorti qu’un avion pris en leasing
- Renouvellement de flotte : on constate la sortie anticipée des appareils les plus vieux et les plus gourmands en kérosène. Virgin Atlantic s’est séparé de ses A340, KLM prévoit de sortir son dernier Boeing 747 à la fin mars, tandis que Lufthansa, Air France, Korean Air, Qantas « groundent » sine die leurs A380
Mais au-delà des impacts économiques attendus par la sortie des appareils quadriréacteurs, c’est également l’efficience environnementale des compagnies aériennes qui devrait s’en trouver améliorée. Ainsi se met en place, une nouvelle preuve du virage environnemental pris par le secteur.
A moyen-terme, c’est également la consolidation du secteur qui devrait être renforcée. D’une part en lien avec la disparition de certains acteurs. Ainsi, au Royaume-Uni, Flybe a fait faillite le 5 mars dernier, libérant 35% du marché intérieur britannique sur lequel la concurrence est désormais libre de se positionner. D’autre part via des mécanismes de fusions et acquisitions, même si les opérations prévues avant crise (ex. : le rachat de TAP Air Portugal par Lufthansa & United) devraient être temporisées, le temps pour les investisseurs de reconstituer leur trésorerie.
Finalement, l’inconnue principale réside dans l’évolution à venir des comportements de voyage, tant à vocation loisir que business. Le #COVID19 nous rappelle que nous vivons dans un monde interconnecté, vecteur de richesses mais également de dangers. Cette prise de conscience va-t-elle entraîner un mouvement de balancier inverse et impacter durablement l’évolution du trafic ? Plus que jamais, dans un monde où sociétés et économies chercheront à être plus responsables, le secteur aérien devra lui aussi s’interroger sur sa raison d’être.
Luc Decamp, Marie-Laure Fayet, Aurélien Gué et Savinien Jalbert