La crise sanitaire actuelle met en lumière la nécessité d’un changement de paradigme sur la transition énergétique, écologique et sociale. En effet, elle est encore trop souvent vue comme une contrainte réglementaire ou une obligation d’image demandant d’ajuster à la marge les business models traditionnels. Vu les évolutions des attentes de la population, les institutions et entreprises qui prospèreront dans le monde post Covid-19 seront sans doute celles dont la création de valeur sera véritablement pérenne, écologique et inclusive.
FAIRE DE LA TRANSITION ECOLOGIQUE LA PRIORITE ABSOLUE POUR SAUVER L’ECONOMIE AUTANT QUE L’ENVIRONNEMENT
Désormais, « les entreprises qui cherchent à maximiser leurs revenus sans tenir compte des impacts sur leurs autres parties prenantes – incluant l’environnement, les salariés et la société civile – mettent leur croissance à long terme à risque et ne sont pas des cibles d’investissements intéressantes pour nous » a expliqué le 4 mars dernier Hiro Mizuno, dirigeant du plus grand fonds de pension de la planète (GPIF, 1600 milliards de dollars d’actifs). Pour la première fois à ce niveau, l’impact positif sur l’environnement et les parties prenantes de la société est enfin mis en avant dans les réflexions financières.
Le coût d’opportunité de la transition énergétique
Le COVID-19 aurait pour élément déclencheur la consommation d’animaux sauvages. Cela constitue une pratique catastrophique pour la biodiversité et la planète. Le coût de la transition écologique est souvent érigé comme argument de l’attentisme. Cette crise nous fait prendre conscience qu’il est en fait bien inférieur à celui des crises environnementales et sanitaires récentes. Parmi elles, les incendies en Australie/Amérique, tsunamis en Asie, ouragans, typhons et inondations à travers le monde et, maintenant, pandémie mondiale.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) souligne que les besoins d’investissements dans le système énergétique s’élèvent à 2,5 % du PIB mondial jusqu’à 2035. Cela permettrait ainsi de rester dans la cible des 1,5 degré de réchauffement climatique. « Trop élevé » estimaient les différents pays.
Pourtant, la France s’apprête actuellement à dédier 14 fois ce budget pour tenter d’enrayer les effets de la crise économique liée à cette pandémie. Le reste du monde agit de même. Nous réalisons enfin que la transition écologique et sociale est une transformation nécessaire. Elle améliorera non seulement nos modes de vie, mais aussi nos économies.
La crise pétrolière que nous traversons et la difficile période économique qui s’annonce doivent être l’occasion de changer de modèle. Nous devons, de cette façon, nous orienter vers une société et une énergie plus locales, moins carbonées, mais aussi plus efficientes, résilientes et flexibles. Les usages évoluent eux aussi, avec un rapport au travail et à la performance différents en ces temps de confinement. Ils pourraient bien le rester.
CHANGER LE RAPPORT A LA PERFORMANCE ET SES CRITÈRES D’ÉVALUATION
Des indicateurs extra-financiers à mieux prendre en compte
La prise en compte des enjeux extra-financiers dans l’évaluation de la performance des sociétés et des hommes apparaît comme l’un des meilleurs moyens d’intégrer les aspects environnementaux et sociétaux au cœur des objectifs stratégiques des entreprises. De ce fait, nous pourrons réussir la transition énergétique et sociale en la rendant compatible avec la société de marché. Le processus a commencé avec la tarification du carbone. Il doit désormais plus que jamais s’amplifier et s’ouvrir aux enjeux de relocalisation de la production, et de cycles de vie complets, ainsi qu’aux enjeux sociétaux.
Nombre d’entreprises, par exemple, considéraient avec circonspection le télétravail plébiscité par les cadres, les jeunes ou encore les parents. Les entreprises vont réaliser que leurs activités ont continué en période de confinement avec un télétravail généralisé. Dans ces conditions, les sociétés accorderont peut-être une valeur plus forte aux bénéfices de ce mode de travail. Il suffit de prendre pour exemple les gains de temps et de performance réalisés par le collaborateur ou encore les possibles baisses de coûts de fonctionnement.
Une performance collective à bâtir
La crise économique mondiale qui s’annonce doit aussi nous faire réaliser que la performance s’évalue de manière collective. Sur le sujet de la transition écologique particulièrement, la dynamique doit être globale. En d’autres termes, elle doit être mondiale et transverse à tous les secteurs de la société (énergie, transport, bâtiment, services, industrie et agriculture). La crise pétrolière, en outre, nous invite à envisager une réflexion globale. Ainsi nous pourrons accélérer la mise en place d’un autre système énergétique, plus décentralisé, résilient et écologique.
Le succès de la transition sera partagé ou ne sera pas. Le rôle des institutions publiques centrales et des collectivités sera crucial. Il donnera un cadre à cette transformation, permettant de véritables résultats. Et si la transformation doit commencer dès maintenant, elle doit être pilotée sur le long terme par des politiques d’incitation stables et cohérentes.
"La perte de biodiversité, la destruction des milieux naturels, sont des témoins de la crise écologique, mais sont aussi pointés comme des facteurs importants de la crise sanitaire d’aujourd’hui […]. Les évènements que nous vivons aujourd’hui remettent en cause nos manières de se nourrir, de se déplacer, de se loger, de travailler, de produire et de consommer."
Extrait de contribution citoyenne au plan de sortie de crise du 10 avril dans le cadre la Convention Citoyenne pour le Climat
Une transition pilotée sur le long terme, seul horizon à considérer
Le monde dans lequel nous entrons se doit de privilégier le long terme. Nous devons donc raisonner en cycle de vie et en coût complet, en incluant le coût environnemental, le coût social, et aussi le coût d’opportunité, c’est-à-dire le coût à ne pas transformer nos modes de production et de vie. On remarque déjà que les entreprises qui se préoccupent du long terme résistent mieux à la crise actuelle. La finance verte (green bonds), par exemple, est plus résiliente que la finance classique en temps de crise.
La relocalisation des activités stratégiques, l’essor des boucles d’énergies locales et décarbonées, des circuits courts, et la prise en compte financière des coûts environnementaux et sociaux sont de premières pistes pour sortir de cette crise par le haut. A l’heure où le manque de vision systémique et les contraintes budgétaires amènent les instances européennes à remettre en question le « Green Deal Européen », il est plus que jamais nécessaire d’impulser une transformation positive et fondée sur la transition socio-écologique.
Sébastien Kahn, Manager chez Eurogroup Consulting