Le confinement généralisé imposé par la crise du Covid-19 a forcé les entreprises à mettre en place, en urgence, le déploiement massif du télétravail. Comme il était prévisible dans cette circonstance, la capacité collective d’adaptation s’est révélée très variable d’une entreprise à l’autre. Chez les plus performantes d’entre elles à cet égard, un socle commun de bonnes pratiques peut être mis en évidence. Il serait utile de le pérenniser, voire de le renforcer, afin de faciliter le retour à la normale dès l’interruption du confinement.
Alors que se multiplient les publications sur les difficultés rencontrées en période de confinement, rares sont celles qui questionnent la période « post-critique ».
Pour gagner en robustesse, compétitivité et agilité, les entreprises ont intérêt à tirer des leçons de cette situation exceptionnelle.
UNE GESTION INÉGALE DE LA MASSIFICATION DU TÉLÉTRAVAIL
La crise du Covid-19 a accéléré la dynamique du télétravail
Depuis 2009, le nombre de télétravailleurs français est en croissance régulière : de 10 % des effectifs en 2009, il est passé à environ 30 % en 2019. Cette évolution résulte de trois facteurs principaux. En premier lieu, une forte demande d’accès au télétravail de la part des salariés et des partenaires sociaux. Ensuite, le succès de sa mise en œuvre dans plusieurs grands groupes français. Et enfin, un assouplissement du régime juridique correspondant, en particulier la réforme du Code du travail initiée par Emmanuel Macron en 2017.
Les dernières grèves dans le secteur des transports et, surtout, les mesures récentes de confinement général ont considérablement accéléré cette dynamique. Il n’est pas encore possible de chiffrer cet effet avec précision. Toutefois, les entreprises dont l’activité pouvait se poursuivre durant la crise du Covid-19 ont eu massivement recours au télétravail. Dans certains cas, des organisations entières, des métiers, des équipes et des salariés ont été amenés à travailler pour la première fois en dehors de leur cadre de travail habituel.
Confinement : des conditions exceptionnelles d’exercice du télétravail
En période de confinement, le télétravail s’exerce dans des conditions très particulières. Imposé en urgence au lieu d’être librement choisi, parfois sans préparation spécifique, il s’étend sur l’ensemble du temps de travail. D’autres facteurs, et non des moindres, complexifient l’installation du dispositif. Parmi eux, la mise en place de mesures d’activité partielle, ou encore le climat anxiogène dans lequel il s’exerce. Il y a également le fort sentiment d’isolement et d’enfermement qui peut l’accompagner. Enfin, l’effacement de la frontière entre vie privée et professionnelle peut entraîner une perte de repères (exemple : présence des enfants au domicile pendant le confinement).
Les capacités d’adaptation des entreprises sont hétérogènes
L’implémentation massive du télétravail a dû s’effectuer en un temps très court. A ce titre, le confinement a constitué un révélateur de l’hétérogénéité des entreprises et des fractures qui existent en leur sein (entre métiers ou entre équipes par exemple).
La réactivité des entreprises, donc leur capacité d’adaptation, apparait clairement corrélée à leur niveau ante crise de maîtrise des "New Ways of Working"
Sans surprise, les plus rodées en la matière ont réagi très rapidement. C’est l’inverse de celles évoluant dans des modes d’organisation « traditionnels », dont certaines ont été contraintes de suspendre temporairement leur activité. Entre ces deux modèles opposés, un grand nombre d’entreprises et/ou de métiers se sont trouvés en situation intermédiaire, impliquant une baisse plus ou moins prononcée de leur productivité.
Dans ce contexte, il paraît opportun de procéder à une analyse des bonnes pratiques associées au déploiement du télétravail, à savoir celles mises en œuvre par les entreprises les plus réactives et les plus performantes en période de confinement généralisé.
LES BONNES PRATIQUES QUI FONT LE SUCCÈS DU TÉLÉTRAVAIL
Le succès de la mise en œuvre du télétravail repose sur l’application d’un socle de bonnes pratiques. Les entreprises qui les ont mises en œuvre avant la période de confinement étaient bien mieux préparées que les autres pour affronter cette période.
Adapter l’informatique au télétravail
Doter les équipes d’un environnement informatique adapté à la réalisation du travail à distance est un véritable prérequis. Il s’agit d’aller bien au-delà du simple équipement en ordinateurs portables et en solutions de téléphonie. A ce titre, les entreprises ayant réussi à basculer avec succès dans la configuration d’un télétravail généralisé sont celles qui disposaient de deux éléments clefs. D’une part une solution d’accès sécurisé au réseau de l’entreprise suffisamment dimensionnée.
D’autre part une solution collaborative permettant aux équipes d’échanger des documents et d’animer des projets et/ou des équipes. Cela se traduit par la VOIP, la visioconférence ou a minima un dispositif de conférences téléphoniques. Dans ce domaine, on a vu se développer l’usage de solutions telles que Zoom, WhatsApp, Trello, Slack, WeTransfer, Microsoft Teams. Elles sont parfois devenues en quelques jours des outils du quotidien. L’accompagnement des équipes à la prise en main de ces solutions est un facteur clé de succès pour garantir leur appropriation.
7 mesures pour optimiser son télétravail
1. Créer un espace de travail calme et confortable au sein de son domicile pour séparer vie professionnelle et vie privée.
2. Définir ses horaires de travail et de connexion et les communiquer au reste de l’équipe et à ses proches.
3. Définir et communiquer son besoin d’autonomie et de contact avec son manager.
4. Optimiser et gérer son temps en priorisant ses actions pour disposer d’un bon équilibre entre temps de production et réunions à distance.
5. Prévoir des temps d’échange informels avec ses collègues.
6. Faire des pauses régulières pour rester productif.
7. Optimiser les périodes creuses par des formations (MOOC, formations à distance) et par des travaux de veille.
Préparer le déploiement du télétravail en équipe
En temps normal, lorsqu’une entreprise dispose d’un cadre permettant aux équipes de passer au télétravail, ce dernier repose sur le volontariat. On pourrait donc penser qu’il s’agit avant toute chose d’une démarche individuelle. Or l’expérience montre que ce type de dispositif ne s’avère efficace que
lorsque le processus de candidature individuelle est précédé d’une réflexion collective. Celle-ci doit être menée à l’échelle d’une direction ou d’une équipe. Elle a pour objectif d’identifier des modalités d’organisation adaptées à l’activité visée, par exemple :
- réflexion sur les activités réalisables à distance (impliquant une réflexion sur les applications informatiques ouvertes depuis le domicile)
- modalités d’adaptation des processus au télétravail
- anticipation de la saisonnalité de l’activité
- répartition des jours de mise en œuvre au sein de l’équipe
- modalités de partage de la documentation.
Il s’agit également d’aborder les conditions d’animation du collectif et de maintenir une dynamique d’équipe, par exemple les modalités :
- d’organisation des réunions d’équipe (fréquence, outils et principes d’animation)
- d’organisation des projets et de brainstroming
- d’interaction avec le reste de l’équipe (y compris avec les prestataires)
- de communication informelle et de rituels d’équipe
S’être préparé individuellement
Le confinement a exacerbé les difficultés rencontrées habituellement par les télétravailleurs : gestion du rythme, confort / ergonomie, difficultés de concentration. Il a, par ailleurs, souligné l’importance de la prise en compte de l’environnement de travail en temps normal dans le cadre de la mise en œuvre du télétravail.
Les collaborateurs qui ont le mieux vécu cette période sont ceux qui ont eu la possibilité d’organiser leur espace de travail et de cadencer le rythme de leurs journées. A ce titre, il est donc primordial, autant que faire se peut, de prendre des mesures pour maintenir un niveau satisfaisant de productivité et de qualité de vie au travail.
Accompagner les managers vers la maitrise du management à distance
Le télétravail bouscule les modes de management traditionnels basés sur le « command and control » et sur le présentiel. Ainsi, il constitue un moyen très efficace pour accélérer la transformation managériale au sein d’une structure. A distance, seul un management basé sur la fixation d’objectifs, la confiance et la responsabilisation peut s’avérer opérant.
Pour cela, deux ensembles de pratiques managériales, en l’occurrence le pilotage de la performance et l’accompagnement des équipes, doivent être adaptés.
Piloter la performance
Le pilotage de la performance en télétravail est fondé sur la responsabilisation individuelle et collective. Ses modalités doivent être définies en phase de cadrage du dispositif et permettre de partager les indicateurs suivis.
Accompagner les équipes
L’accompagnement des collaborateurs en télétravail est une mesure essentielle. Elle permet de maintenir une vie d’équipe et lutter contre le sentiment d’isolement. Des modalités d’écoute, de feedback régulier, de partage d’informations et de maintien du lien social doivent être définies avant le lancement du dispositif.
POURSUIVRE LA DYNAMIQUE DE TRANSFORMATION APRÈS LE CONFINEMENT
Les entreprises gagneront à poursuivre leur dynamique de transformation à l’issue du confinement. Qu’elles aient rencontré de grandes difficultés pendant la période de confinement, ou qu’elles aient réussi à s’adapter, elles ont été contraintes à de profondes transformations de leur organisation. En quelques jours, certaines ont évolué davantage qu’en plusieurs mois, voire plusieurs années. Elles sont parvenues à mettre en œuvre de façon accélérée des projets en cours ou des initiatives jusque-là différées. Les managers comme les collaborateurs ont dû s’adapter et travailler différemment. Ils démontrent ainsi qu’il est possible de conjuguer travail à distance et efficacité. Une fois passé le temps du confinement, les entreprises devront rapidement procéder au bilan de cette période particulière. Elles devront également affronter plusieurs enjeux fondamentaux pour maintenir la dynamique enclenchée.
Penser l’avenir du télétravail
Il semble évident que le télétravail imposé ne deviendra pas la norme. Pourtant, des enseignements sur les perspectives de son évolution doivent être tirés.
Le confinement a contribué à la démocratisation de ce mode de travail et à son ouverture vers des métiers et activités jusque-là réalisés uniquement depuis les locaux de l’entreprise. A ce titre, un retour en arrière n’est pas souhaitable. Toutefois les dispositifs encadrant sa mise en œuvre devront sans doute être repensés. Plus souples et évolutifs, ils pourraient se substituer aux traditionnels accords d’entreprise.
La réflexion doit s’étendre à la liste des activités (y compris applications informatiques) et au nombre de jours ouverts au télétravail, aux modalités de son activation, aux catégories professionnelles concernées, au processus de candidature et aux moyens mis à disposition. Il en est de même pour les modalités d’accompagnement des collaborateurs et des managers et la préparation collective pour l’appliquer au mieux.
En synthèse, un bilan de la manière dont les équipes ont vécu cette période devra être réalisé à l’issue du confinement. Il permettra de pour trouver un point d’équilibre entre les avancées et les limites de dispositif télétravail.
Cultiver l’agilité et le digital
Les modalités traditionnelles de partage de l’information ainsi que de nombreux processus et activités nécessitant jusqu’ici une présence physique dans les locaux de l’entreprise ont volé en éclat durant le confinement.
Des solutions nouvelles ont émergé pour assurer la circulation de l’information à distance ou dématérialiser des pans entiers de l’activité. L’éloignement physique des décideurs a également encouragé des processus de réflexion et de décision fondés sur le collectif et des itérations courtes. Le travail en « mode projet » s’est ainsi fortement développé, facilité par la prise en main de solutions informatiques jusque-là peu utilisées.
Les entreprises devront pérenniser cette dynamique. De nouveaux programmes devraient émerger, permettant de déployer l’agilité à large échelle (« at scale »). Grâce à eux, il sera également possible de poursuivre l’optimisation des processus et des organisations. Face à la concurrence et à des clients de plus en plus enclins à utiliser les outils et solutions digitales, les entreprises ne disposant pas de cet environnement n’auront d’autre choix que d’évoluer.
Celles disposant déjà d’une « digital workplace » devront s’assurer de la bonne maitrise des outils, solutions collaboratives et processus dématérialisés mis à la disposition des collaborateurs.
Une réflexion plus générale sur l’accès aux réseaux sécurisés depuis l’extérieur des locaux de l’entreprise devra également être menée. En effet, des difficultés ont parfois été identifiées dans certaines entreprises.
Développer l’innovation managériale
La période de confinement a replacé le manager au cœur de l’activité et de la vie d’équipe. Elle a également approfondi le fossé séparant les modes de management fondés sur le contrôle, et les modes de management par objectifs fondés sur la confiance et la bienveillance. Ainsi, une fois la période de confinement terminée, la coexistence de ces deux modes deviendra plus difficile. Et cela d’autant que de nombreux collaborateurs auront gagné en confiance et en autonomie.
Dans les structures traditionnelles ou en transition, des dispositifs d’accompagnement managérial devraient ainsi émerger. Ils renforceront ainsi l’efficacité et l’impact de l’ensemble des managers. Pour les structures et les managers plus matures, des dispositifs spécifiques d’innovation managériale devront également être déployés. Considérons par exemple l’accompagnement des managers vers des techniques, postures, modalités et outils de management favorisant la réflexion collective, la créativité et la responsabilisation. Ils leur permettront de jouer un rôle moteur au service de la performance individuelle et collective.
Développer l’expérience collaborateur
La notion d’expérience collaborateur est née de la volonté de moderniser la qualité de service et d’accompagnement des collaborateurs tout au long de leur parcours dans l’entreprise. Les initiatives allant dans ce sens ont pour objectif de fidéliser les collaborateurs, d’attirer de nouveaux talents mais aussi de gagner en efficacité et qualité de service. Les temps forts de la vie professionnelle ont été plus ou moins aménagés pendant la période de confinement.
C’est notamment le cas du recrutement, de la communication interne, la paie, la formation ou encore l’évaluation. Des processus administratifs entiers ont parfois été dématérialisés (paie, notes de frais, gestion des congés…) simplifiant les gestes quotidiens de nombreux utilisateurs. A juste titre, certaines organisations ont déployé une démarche de « prise de pouls » des équipes. L’objectif est d’identifier des actions susceptibles d’améliorer le quotidien des collaborateurs pendant et après cette période.
Ces programmes et initiatives devraient ainsi encore se développer, au bénéfice de l’expérience des collaborateurs, des clients et des potentielles recrues.
Aménager l’espace de travail au plus près des usages des équipes
Les structures qui se sont le mieux adaptées à la crise du Covid-19 sont celles qui ont su maintenir ou développer une dynamique collaborative malgré l’éloignement physique des individus.
Le développement du travail collaboratif, mêlé à de nouveaux modes de management fondés sur la confiance, l’écoute et la fixation d’objectifs, a ainsi permis d’intégrer davantage d’horizontalité dans les relations entre collaborateurs et managers.
Les espaces de travail devront se transformer pour prendre en compte ces nouveaux usages et l’accroissement de la mobilité des équipes (y compris la possibilité pour de nombreux prestataires de réaliser leur activité depuis l’extérieur). Aujourd’hui, ils sont encore trop souvent cloisonnés, faisant la part belle aux approches individuelles au détriment d’approches collectives.
L’espace de travail de demain sera à l’image des transformations déjà opérées dans de nombreux grands groupes (espaces de travail dynamiques, Flex Office, bureaux de passage, espaces de coworking, de convivialité ou de détente. Il sera un lieu de vie connecté, dans lequel les équipes prendront plaisir à travailler et à se retrouver.
Le confinement a conforté dans leur choix les entreprises qui avaient déjà opéré une transformation profonde de leurs modes de travail. Pour les autres, cette période a considérablement accéléré leur évolution ou la prise de conscience d’une évolution à mener.
De nombreuses entreprises ressortiront fragilisées économiquement de la crise mais disposeront d’organisations plus efficientes et plus robustes. En définitive, cette crise aura touché au modèle culturel et à l’ADN des entreprises. Parfois accusés de n’être que des éléments de communication, les concepts de responsabilisation, de confiance, d’autonomie ou encore d’agilité se sont concrétisés dans le quotidien de nombreux salariés.
La fin du confinement ouvrira une nouvelle période d’incertitude. Dans ce contexte, les entreprises pourraient se contenter des avancées réalisées, voire même de revenir en arrière. Il est probable, au contraire, que seules pourront en tirer profit ceux qui poursuivront la transformation de leur organisation au service de l’efficacité opérationnelle et de l’expérience collaborateur. Le chemin vers la résilience, le rebond et l’agilité est à ce prix.
Jean-Baptiste Annat, Directeur chez Eurogroup Consulting