Depuis le début de la crise du COVID 19, les organismes complémentaires santé se font discrets. L’incertitude sur leur équilibre technique en 2020 les rend attentistes. Pourtant cette crise, par sa durée et son côté révélateur, devrait pousser ces acteurs à réagir et à repenser leur modèle économique.
UNE INCERTITUDE SUR LES ÉQUILIBRES TECHNIQUES
La situation des « mutuelles santé », est pour le moment occultée par le bruit médiatique autour de l’assurance automobile ou perte d’exploitation. Et cela les arrange. Elles vont en effet être confrontées, en 2020, à un « coup d’accordéon » sur leur résultat, difficile à justifier auprès du grand public, complexe à estimer à ce jour.
Depuis mi-mars les dépenses de santé courantes, qui sont celles que remboursent essentiellement les assureurs complémentaires, connaissent un véritable effondrement. La période de confinement a provoqué des chutes brutales de volumes. Cette baisse ne sera compensée ni par le coût des hospitalisations ni par la hausse des téléconsultations. Celles-ci sont en effet largement prises en charge par l’Assurance Maladie (pour toute suspicion de Covid-19 ou de maladie chronique). Cette tendance se prolongera très probablement dans les premiers mois du déconfinement.
Un effet amplifié sur la période du confinement pour les dépenses prises en charge par les organismes complémentaires : –80% pour l’optique l’audioprothèse, -40% pour les consultations (jusqu’à -60% pour les spécialistes) -30% et plus pour le dentaire.
Entre fin 2020 et début 2021, le phénomène va s’inverser. Les professionnels de santé de ville qui auront le plus subi les effets du confinement (opticiens, dentistes, audioprothésistes…), vont tenter de se remettre à niveau financièrement et les « facturations optimisées » seront certainement en croissance. L’hôpital va tout faire pour accélérer sa facturation, que les complémentaires santé maitrisent mal aujourd’hui. Enfin, les effets des premières faillites des entreprises cotisantes vont se faire sentir. En bref, les marges techniques seront cette fois menacées.
L’ATTENTISME NE POURRA PAS DURER
Les complémentaires santé ont intérêt à se préparer dès maintenant à cet « effet ciseau ».
D’une part, elles doivent anticiper des réponses aux critiques que le grand public pourrait formuler. Cela pourrait passer par le fait d’accorder « un geste » tout en évitant d’obérer leur avenir financier. En effet, les complémentaires ne connaissent pas encore l’impact définitif de la crise sur leurs comptes ni qui, parmi leurs clients entreprise, fera défaut. En ce sens, elles doivent se préparer à entrer dans une période de renouvellement de leurs contrats très particulière D’autre part, elles doivent s’attendre à un afflux de facturations dans le dernier quadrimestre 2020, parmi lesquelles figurera un taux plus élevé de facturation à tort ou erronées.
CHANGER DE MODÈLE
A terme, la crise du Covid-19 pourrait être un accélérateur de changement de modèle.
Au-delà des effets conjoncturels la crise actuelle laissera au moins deux enseignements sur le plan sanitaire :
La prévention et la prise en charge des maladies chroniques vont devenir LA préoccupation majeure de santé publique. Plus des trois quarts des patients admis en réanimation à la suite du Covid-9 présentaient au moins une comorbidité. La communauté médicale s’alarme par ailleurs des effets désastreux du mauvais suivi des malades chroniques lors du confinement. L’Assurance maladie n’a pas attendu la pandémie pour travailler sur ce sujet. Elle développe des initiatives dans la construction et le financement de parcours de soins autour des maladies chroniques. Mais elle l’a fait, jusque-là, sans les complémentaires santé. Pourtant celles-ci subissent de gros restes à charge.
A l’inverse, l’épisode de confinement et de déconfinement progressif aura montré que les assurés-patients peuvent se passer de consultation physique pour traiter leurs problèmes bénins de santé et privilégier la télémédecine et l’automédication (maitrisée), qu’ils peuvent aussi continuer à vivre sans changer de lunettes. La « médecine des bien portants », qui est celle que remboursent les complémentaires santé, peut se vivre différemment. Ces nouvelles habitudes pourraient subsister tant du côté des patients que des professionnels de santé.
Le reste à charge invisible correspond aux dépenses non comptabilisées par la Direction de la Recherche, des Études, de l'Évalution et des Statistiques (DREES) : matériels médicaux, produits d’hygiène et de stérilisation non remboursés, frais de déplacement ou d’hébergement pour se rendre aux consultations, consultations psychologue, ergothérapeute, non prises en charge ni par la Sécurité Sociale ni par les complémentaires santé. Celui-ci vient s’ajouter au reste à charge traditionnel dont on estime qu’il est 2,5 fois supérieur à celui que supportent les populations en bonne santé en moyenne.
Une focalisation sur les dépenses de soin courantes
En 2018 les complémentaires santé ne représentaient que 5% des remboursements hospitaliers. Elles ne couvraient respectivement que 22 et 13% de la médecine de ville et de la prise en charge des médicaments (surtout dédiés aux maladies chroniques et donc pris en charge par l’Assurance maladie). En revanche, elles couvraient les dépenses d’optique à hauteur de 74%.
Ce double constat devrait pousser les complémentaires santé à repenser leur modèle
Si la période de déconfinement qui s’ouvre dure suffisamment, les assurés patients comprendront que la médecine des bien portants relève plus d’une consommation courante que de la prise en charge d’un risque proprement dit. Dès lors, les organismes complémentaires pourront-ils durablement continuer à appeler « assurance », le financement d’une consommation de soins, qui relève plutôt du financement des dépenses courantes, voire du confort ? Et ce, avec un surcoût de 25% de frais et 14 à 21% de taxe. Les entreprises et les consommateurs dont les ressources financières vont être fortement entamées par la crise, le comprendront de moins en moins. La voie est alors ouverte pour la mise en place des contrats sortant du cadre réglementaire (contrat responsable).
A contrario, les organismes complémentaires vont devoir se concentrer sur la vraie gestion du risque en santé, à savoir les maladies chroniques, leur prévention et leur accompagnement, ainsi que les épisodes d’hospitalisation. La crise du Covid-19 aura montré aux Français non pris en charge à 100% par l’Assurance maladie, qu’une hospitalisation peut coûter cher. Elle aura aussi montré combien la prévention et l’accompagnement des maladies chroniques sont importants pour notre société.
EN SYNTHÈSE, LES COMPLÉMENTAIRES SANTÉ DOIVENT PRÉPARER UNE RIPOSTE À COURT TERME…
Les complémentaires santé vont devoir participer à la solidarité nationale sans obérer leur avenir financier. Elles pourront pour cela :
- Couvrir gratuitement des populations ciblées dépourvues de mutuelle, apporter leur soutien à des branches professionnelles ou des initiatives de solidarité qui renforcent effectivement le lien entre l’assureur et ses assurés, porteur du sens au-delà de la pandémie.
- Mettre en avant gratuitement des packs de services qui pourraient très bien être inclus dans une future offre en lieu et place de garanties.
- En revanche, le fait de « rembourser » des cotisations risquerait d’ancrer l’idée que la « mutuelle » est vraiment trop chère.
Elles devront aussi se préparer à un afflux de facturations et à l’élévation des taux de facturations à tort. Pour y faire face, elles devront :
- Revisiter les processus de liquidation et la formation des gestionnaires que la course à la productivité a parfois détournés du souci de contrôle et de maitrise des remboursements.
- Anticiper la mise en place de ROC (dématérialisation de la facturation hospitalière). Sa mise en œuvre sera en effet accélérée car l’hôpital a besoin de trésorerie.
… ET AMORCER UNE TRANSFORMATION DE LEUR MODÈLE.
Les complémentaires santé devront distinguer le service et la vraie gestion du risque. Les clients et l’Assurance Maladie les pousseront inéluctablement dans ce sens.
Sortir des dogmes du contrat responsable
Les complémentaires pourront revoir la prise en charge de la dépense courante de santé (moins de garanties, plus de services) pour proposer des offres à tarifs réduits :
- Des forfaits de téléconsultation et de services d’orientation pourraient être mis en place.
- Les remboursements en optique pourraient être supprimés au profit d’une valorisation des réseaux de soins et /ou du micro-crédit santé. Enfin des forfaits d’automédication viendraient compléter l’offre.
Prendre en compte le « virage ambulatoire de l’hôpital » dans la transformation du modèle
Les complémentaires pourraient participer au financement de services pré et post hospitalisation programmée, notamment ceux proposés par les offreurs de soins. Elles pourraient proposer de cofinancer des expérimentations avec certaines communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Elles pourront également envisager de mixer prestations de soins et d’assistance à la personne.
Anticiper le choc des maladies chroniques
Les complémentaires santé pourraient proposer des packages de garanties et de services en complément ou supplément de ceux que proposera l’Assurance Maladie dans ses parcours : prévention secondaire, orientation, accompagnement thérapeutique, second-avis, prise de rendez-vous, services à la personne …
Pour ce faire, les complémentaires santé pourront s’appuyer sur les avancées technologiques, portées par l’écosystème de la e-santé (tels que My Diabee, Diabeo… pour l’accompagnement des patients souffrant de diabète). Celles-ci sont aujourd’hui éprouvées et permettent d’imaginer des solutions à des coûts bien moindres que ceux qui auraient dû être mobilisés il y a une décade.
Michel Collombet, Associé chez Eurogroup Consulting