La crise sanitaire liée au Covid-19 a demandé une adaptation d’urgence de la chaîne logistique et des différents modes de transport en France et dans le monde. Ses acteurs sont parvenus à sécuriser l’approvisionnement en temps de crise et ils s’emploient désormais à la reprise d’activité. Les défis du secteur sont immenses et appellent à penser des transformations majeures sur le plan économique, sociétal et environnemental.
ADAPTATION ET COOPÉRATION POUR FAIRE FACE À UNE CRISE INÉDITE
Tous les acteurs, interdépendants, ont mis en place des solutions collectives pour répondre à l’urgence, mutualiser les commandes de matériel, optimiser l’acheminement malgré des capacités de transport limitées. Les acteurs publics et privés, le Gouvernement, les transporteurs, les filières professionnelles ont resserré leurs collaborations. Des cellules de crise ont permis de diffuser une information fiable et directe et de mettre en œuvre rapidement des solutions opérationnelles.
Reconnaissant l’importance du secteur, les pouvoirs publics ont adopté différentes mesures pour faciliter le travail des logisticiens et assurer la continuité de l’activité. Ainsi, ils ont rapidement :
- Levé des interdictions de circuler à certaines périodes pour le transport routier,
- Assoupli les contrôles des conducteurs,
- Rouvert les aires d’autoroute,
- Autorisé le travail en entrepôt le dimanche,
- Créé une nouvelle équivalence de normes afin de faciliter le passage des frontières pour les masques acheminés depuis la Chine,
- Mis en place des aides financières et report d’échéances de redevances…
La création en janvier 2020 de l’association France Logistique qui représente la filière auprès des pouvoirs publics a pu faciliter la coordination entre acteurs publics et privés. La tenue annoncée d’un prochain Comité interministériel pour le fret et la logistique pourra d’autant plus solidifier cette coopération et acter la prise de nouvelles mesures.
RELEVER LES DÉFIS DE LA CONTINUITÉ ET DE LA REPRISE D’ACTIVITÉ
Le secteur doit avant tout faire face à trois défis majeurs d’ordre logistique, social et financier.
Des défis logistiques
Alors que le déconfinement progressif est en œuvre depuis le 11 mai, les entreprises ont préparé la reprise d’activité en relevant plusieurs défis dans l’organisation de leurs flux logistiques, de l’acheminement au stockage.
Ces prochains mois, la priorisation de l’affrètement des marchandises reste de mise en premier lieu pour l’alimentaire et le matériel médical car les entreprises en dépendent pour une reprise d’activité sécurisée pour les salariés. L’approvisionnement des points de vente alimentaires permettant de limiter les ruptures est crucial, en attendant la pleine reprise de la restauration collective qui servait, avant la crise, 30 millions de repas journaliers.
La pression sur les surfaces de stockage reste vive du fait des difficultés à livrer en flux tendu et de l’explosion du e-commerce. Les commandes en attente d’exportation ou de livraison à l’import s’accumulent et les capacités de stockage des produits dont les ventes se sont effondrées saturent.
Les commerces de proximité se sont adaptés via des adaptations temporaires qui pourraient se poursuivre du fait de l’incertitude liée à la fréquentation des magasins :
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- La transformation de boutiques en points relais,
- La mise en place de drives,
- Et une réaffection des espaces à la préparation de commandes pour livraison à domicile.
Le rapprochement et la multiplication des points d’approvisionnement pourront répondre à une hausse anticipée de la demande régionale. La Convention citoyenne pour le climat dont les conclusions définitives seront rendues le 21 juin préconise dans ce sens le développement, le renforcement et l’interconnexion « des plateformes multimodales de triages, groupages, dégroupages régionales ‘amont’ et ‘aval’ comme les Centres de distribution urbaine ».
Des défis sociaux
Par ailleurs, la situation sociale reste sensible et pourrait engendrer une pénurie de main d’œuvre. Les conditions de travail de la reprise animent toujours le débat et attisent les craintes des salariés. Les entreprises logistiques peinaient déjà à recruter avant la crise et dans le contexte actuel l’absentéisme a augmenté (en raison de maladie, droit de retrait, garde d’enfants, etc.). Les sociétés d’intérim, sursollicitées, sont confrontées aux mêmes difficultés. L’insuffisance de mesures de protection suffisantes pour les employés a remis en cause la continuité de l’activité de certaines entreprises.
Un débat public émerge par ailleurs sur la reconnaissance des métiers de la filière. Il impliquera une réflexion sur la revalorisation de la profession, sur la rémunération et les conditions de travail, nécessaires à son attractivité.
D’autres réponses peuvent être envisagées. Ainsi, des plateformes comme « Transport solidaire » (AFT) visent à rapprocher demande et besoin en permettant aux transporteurs et logisticiens de rechercher ou mettre à disposition des salariés qualifiés et volontaires. A l’image de la filière agricole, un plus large appel à candidats pourrait émerger pour pourvoir aux besoins de la filière.
Des défis financiers
Certains acteurs sont très affectés financièrement, notamment dans le transport routier et l’aérien. La désorganisation des flux a eu des répercussions sur les plans de transport (contraints de recourir à des routes alternatives) ou sur l’optimisation des flux en l’absence de fret retour, le tout, engendrant des coûts supplémentaires. Si la reprise de l’économie se fait attendre, la dépendance du secteur logistique à l’activité de ses clients risque d’entraîner de nouvelles difficultés pour le transport routier, son modèle économique nécessitant massification et optimisation des trajets en charge.
PENSER L’AVENIR DE LA FILIÈRE DANS LA DURÉE
La tentation de la relocalisation
La crise a révélé la fragilité de certaines chaînes de valeur mondiales et la dépendance de l’approvisionnement à des fournisseurs éloignés et concentrés géographiquement, en Chine notamment. Ce constat vaut pour des produits sanitaires stratégiques mais aussi pour certains secteurs en manque de composants ou l’alimentaire. Certaines productions, désormais perçues comme essentielles, pourraient être relocalisées afin que leur approvisionnement soit sécurisé.
D’autres modes de production et de distribution nationaux basés sur des initiatives locales ont démontré leur valeur dans ce contexte et pourraient s’ancrer de manière plus pérenne. Du côté de la distribution, plusieurs secteurs d’activité comme la restauration ont détourné leur activité traditionnelle pour offrir un service de Click & Collect et ainsi rouvrir des points de vente de proximité. La prise en compte de critères sociaux et environnementaux permettrait d’ailleurs de contribuer à faire accepter les nécessaires hausses de coûts liées à la relocalisation.
La multimodalité pour réduire le risque
La période aura également démontré la résilience de certains modes massifiés comme le maritime, le fluvial ou le ferroviaire, pour les produits en vrac notamment. Les secteurs aérien et routier ont montré de plus grandes difficultés à s’adapter face à un approvisionnement fluctuant. C’est pourquoi, il semble nécessaire de soutenir le développement d’une plus forte multimodalité qui permette de répartir les risques et les dépendances vers les modes traditionnels. Il en sera de même pour le transport routier de produits conditionnés, afin d’assurer une meilleure flexibilité et réactivité.
Avec la reprise du transport massifié de personnes, c’est une réflexion sur le partage entre fret et voyageurs qui devra émerger. Il s’agit ainsi de créer les conditions favorables au développement d’une plus forte complémentarité des modes de transport, via un plan de maillage de terminaux combinés. Les évolutions du transport de personnes pourraient également permettre de définir de nouveaux scénarii.
L’accélération de l’innovation logistique
Les initiatives numériques se sont multipliées pour améliorer à tous niveaux les mises en relation entre acteurs. L’accélération des innovations logistiques, déjà amorcée, pourrait se poursuivre. Les investissements liés à l’optimisation de la gestion des données pour anticiper les flux puis, tout au long des opérations, optimiser les plans d’approvisionnement pourraient être intensifiés. La structuration efficace d’une filière de logistique urbaine pour répondre aux changements de comportements des consommateurs pourrait également être accélérée, notamment via le lancement d’appels à projets. Dans le même sens, les réflexions initiées sur les solutions de stockage inter-entreprises ou la polyvalence des chaînes logistiques, testées pendant la période, pourront faire l’objet d’apprentissages à déployer plus largement.
Vers une gouvernance régionale ?
Nous assisterons probablement à une recomposition territoriale d’ici quelques années. En effet, la tendance est à la baisse de l’empreinte foncière (tertiaire notamment) et à un possible mouvement d’une partie des urbains vers plus de ruralité. De nouveaux modes de travail en faciliteront alors le développement. Ces conditions pourraient créer de nouvelles opportunités pour la logistique urbaine et le développement de l’immobilier logistique.
Le recours à une production et une distribution plus rapprochée des zones de consommation est ainsi une solution à moyen et long terme. Pour l’Etat, cela pourra passer par des incitations financières. Pour les donneurs d’ordres et les transporteurs, le défi sera d’évaluer les relocalisations possibles et de réorganiser les chaînes de transport.
Dans l’ensemble, c’est une gouvernance à l’échelle régionale de la logistique réunissant l’ensemble de l’écosystème qui devra être définie. Il faudra en effet soutenir l’émergence d’une autorité régionale intégrant pleinement la logistique dans sa vision des transports, renforcer les gouvernances croisées entre gestionnaires d’infrastructures, conseils stratégiques et comités RSE, et définir des priorités partagées entre les acteurs.
L’exigence sociétale de la réduction de l’impact environnemental, social et sanitaire
La reprise devra être écologique pour répondre aux attentes sociétales. La sensibilité des français aux questions environnementales est renforcée, ils attendent que l’Etat protège à la fois leur santé et la nature et souhaitent de plus en plus connaître la provenance et la manière dont ont été transportés les produits qu’ils consomment.
Du côté des acteurs économiques, une transition écologique et sociale privilégiant le long terme et intégrant le coût complet (y compris social, environnemental et d’opportunité) et le cycle de vie des produits apparaît désormais comme une transformation nécessaire à la sortie de crise.
Pour répondre au choc économique, social, et financier qui s’annonce, la sortie de crise et la relance doivent intégrer l’urgence climatique – diminution des émissions de gaz à effet de serre et adaptation aux changements inéluctables présents et à venir.
Haut Conseil pour le Climat, rapport spécial d’avril 2020
Les épreuves vécues par la filière fret et logistique lors de cette crise, sanitaires, sociales, économiques, vont-elles constituer le point de bascule et l’accélérateur d’une transition positive du secteur ?
Marie-Laure Fayet, Associée chez Eurogroup Consulting
Grégoire Picard, Manager chez Eurogroup Consulting