L’hôpital est habituellement soumis à une pression budgétaire forte et des contraintes organisationnelles rigides. Il a fait preuve d’une réactivité et d’une agilité inédites pour prendre en charge les patients pendant la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19. Reste à savoir quels modes d’organisation perdureront après la crise.
DES FRAGILITÉS ET DES RIGIDITÉS INSTALLÉES DEPUIS LONGTEMPS
Le secteur hospitalier est à la croisée d’injonctions difficilement conciliables. Il souffre aujourd’hui d’organisations trop rigides, en raison notamment de la lourdeur du temps administratif et d’outils peu ergonomiques.
Dernier maillon de la chaine dans la mise en œuvre des politiques de santé, l’hôpital est pris en étau entre la pression budgétaire, sa responsabilité sociale d’employeur et l’impératif de réaliser des investissements de long terme.
Jusque-là, une logique de double réduction des lits et des équipes prévalait
Au centre du système de soin français, l’hôpital fait face, depuis plusieurs années, à un impératif de maitrise budgétaire fort. Les coûts de personnel ayant atteint un pic de 70,6% de leurs dépenses en 2007, les hôpitaux ont cherché à diminuer leurs coûts en réduisant leur masse salariale. A cet effet, le principal levier mis en œuvre a été de redimensionner des équipes soignantes et donc de réduire le nombre de lits d’hospitalisation complète dans les services de soins. Ces ajustements capacitaires ont très largement été réalisés à la suite d’analyses de besoins des territoires. Ces dernières permettant de justifier – dans une logique de recherche d’efficience économique – la fermeture de lits.
Ainsi, en 2018, les établissements de santé comptaient 396 000 lits d’hospitalisation complète et 77 000 places d’hospitalisation de jour. Soit 72 000 lits (-15%) de moins et 28 000 places (+57%) de plus qu’en 2003.
Si elle fait sens d’un point de vue économique, cette logique de réduction trouve ses limites.
Ces chiffres doivent toutefois être pris avec précaution. Ils traduisent autant une évolution des modes de prise en charge des patients (développement de l’ambulatoire, de l’hospitalisation à temps partiel et à domicile notamment), qu’une volonté de renforcer la sécurité et la qualité des soins. Celles-ci passent par une plus forte gradation des prises en charge – et donc leur concentration à l’échelle d’un territoire.
Ces mesures ont permis de stabiliser le poids des charges de personnel autour de 65,5% du budget des établissements. Les efforts consentis doivent en théorie permettre aux hôpitaux de réaliser les investissements nécessaires à long terme, en particulier pour financer des rénovations d’infrastructures et du matériel technologique de pointe.
Pour autant, l’équation parait difficilement tenable pour nombre d’établissements. La crise sanitaire actuelle pose clairement la question de la poursuite de cette logique baissière de transformation de l’offre de soins hospitalière.
Une organisation par ailleurs peu flexible
Cette évolution de l’offre de soins, associée à des processus de décision chronophages et des outils inadaptés, rend peu flexible l’organisation des établissements de santé. L’optimisation des services et des effectifs a limité les possibilités d’adaptation futures des établissements de soin.
D’autres facteurs entravent également la flexibilité de l’organisation des hôpitaux.
Les différentes strates (direction d’établissement, pôles et services) en réfèrent à de nombreuses autorités de tutelle. A savoir : la Direction générale de l’offre de soins et les Agences régionales de santé. Les instances de gouvernance (les Commissions médicales d’établissement, centrales et locales, sous-commissions spécialisées, commissions des soins infirmiers, des usagers, etc.), comme les contrats de gestion, les tableaux de bord et indicateurs en tout genre se sont également multipliés. Cela a engendré des processus de prise de décisions et de gestion complexes et chronophages au sein des établissements de santé.
Cette situation résulte du renforcement du contrôle budgétaire. Elle est aussi le fruit des divergences d’orientation entre personnels soignant et administratif. L’organisation quotidienne s’en trouve ainsi fortement impactée, comme le révèlent les fermetures temporaires de lits, la gestion des plannings des soignants, etc.). Les projets d’organisation à plus long terme comme l’ouverture d’un nouveau service ou la réorganisation d’un pôle, le sont aussi.
Par ailleurs, les outils à disposition du personnel administratif ou médico-soignant sont souvent en nombre insuffisant, pas interopérables et/ou obsolètes. A titre d’exemple, Eurogroup Consulting a constaté en 2016 que 80% des services d’un Centre hospitalier universitaire utilisaient le fax de façon quotidienne.Certes, l’article 44 de Ma Santé 2022 devrait permettre d’améliorer ce point en imposant aux éditeurs la conformité aux référentiels d’interopérabilité. Pour autant, force est de constater que les établissements de santé n’ont pas encore pleinement pris le virage du numérique.
DES RESSORTS INSOUPÇONNÉS
La crise sanitaire a démontré que, confrontés à une situation exceptionnelle, les hôpitaux sont capables d’activer des ressorts insoupçonnés.
La crise a mis en évidence le caractère essentiel du nombre de lits dans les établissements de santé
Disposant de 6 lits pour 1 000 habitants, la France se situe derrière l’Allemagne (8 lits pour 1000 habitants). Elle reste toutefois au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE comme la Norvège (3,6 lits), l’Espagne (3 lits) ou le Royaume-Uni (2,5 lits). Mais si le nombre de lits a permis dans l’ensemble de répondre à la crise sanitaire, c’est pour plusieurs raisons.
- D’abord, la transformation des capacités d’accueil en lits de réanimation supplémentaires
- Une mobilisation exceptionnelle des personnels soignants
- Un transfert de patients des territoires les plus touchés vers ceux les moins impactés
- Enfin, l’arrêt des activités de chirurgie non urgentes.
Nombre de lits pour 1 000 habitants
La démonstration d’une agilité affranchie de toute contrainte
Les établissements de santé ont été capables de se transformer radicalement et rapidement pour répondre aux besoins des patients et aux enjeux de santé publique. Report des opérations et hospitalisations non urgentes, transferts d’activités telles que les maternités, séparation stricte entre secteurs Covid positifs et Covid négatifs, adaptation des procédures d’accueil des patients, développement et installations d’outils numériques. Les établissements de santé se sont affranchis de lourdes contraintes et ont ainsi pu rendre effectifs en quelques semaines des mesures qui, hors temps de crise, auraient pris des mois ou des années à être actés.
La solidarité intra-établissement a été particulièrement forte. On a assisté à une réaffectation inédite des effectifs entre les secteurs Covid et non Covid. L’ensemble des services ont collaboré pour accueillir les patients dans les meilleures conditions.
TIRER LES ENSEIGNEMENTS DE LA CRISE
Le temps du retour d’expérience viendra. Il sera alors essentiel de pérenniser certains modes de fonctionnement prometteurs d’un avenir plus solidaire et mieux outillé.
Les mesures exceptionnelles ne pourront perdurer
La démonstration d’agilité des établissements de santé est riche d’enseignements. Certaines mesures prises par les établissements de santé pour faire face à l’épidémie de Covid-19 ne sont pourtant pas viables sur le long terme. Le rythme de travail du personnel soignant et les conditions de stress auxquelles il est soumis entraînent une anxiété et un épuisement croissant. L’association Soins aux Professionnels en Santé, qui coordonne une ligne d’écoute à destination des soignants depuis 2016, confirme cette tendance. Elle a reçu en moyenne une centaine d’appels quotidiens, soit 15 fois plus qu’en temps normal. Par ailleurs, nous assistons à un report des activités programmées non urgentes de chirurgie et de médecine. En parallèle, de très nombreux patients ont renoncé aux soins. Sur la période cela s’est soldé par une baisse de 60% du nombre de consultations spécialisées et de 40% en médecine générale, par une chute de 35% du recours aux urgences pour atteinte cardiaque et de 27% pour les accidents vasculaires cérébraux. Cette situation, si elle perdurait, pourrait entraîner une aggravation de l’état de santé de la population.
D’autres mesures en revanche constituent des leviers qui doivent être explorés afin d’améliorer l’organisation des établissements de santé post crise.
Bâtir un nouvel équilibre
Au sortir de la crise, un nouvel équilibre devra être pensé, à la hauteur de la prise de conscience collective et des efforts consentis par les personnels médical et soignant. C’est tout l’enjeu du « Ségur de la santé » lancé par le Gouvernement le 25 mai dernier.
Comme annoncé, un effort budgétaire sera réalisé. Mais au-delà, il faudra refonder le système hospitalier de demain, en l’inscrivant dans des parcours de soins intégrés de bout en bout. Cela ne pourra se faire sans une phase préalable de retour d’expérience. Il faudra alors capitaliser sur :
- Un gigantesque élan de solidarité déployé au cœur du fonctionnement interne des hôpitaux ;
- Les innovations, en particulier celles d’ordre numérique déployées pendant la crise.
Laura Benveniste, Manager chez Eurogroup Consulting
Caroline Schwartz, Supervising senior chez Eurogroup Consulting