Si l’adage « mieux vaut prévenir que guérir » est connu de tous, quelle est la réelle place de la prévention en France face aux bouleversements que traverse notre système de santé ? La prévention permet-elle de limiter suffisamment les maladies chroniques aujourd’hui responsables de perte d’autonomie et de décès ? Les avancées technologiques dans le champ de la santé (télémédecine, e-santé, etc.) peuvent-elles être des éléments de réponse aux défis lancés au système de santé et être au service de la prévention en France ?
PRISE EN CHARGE DES ALD : UN FARDEAU ÉCONOMIQUE POUR L’ASSURANCE MALADIE
Les affections de longue durée (ALD), sont prises en charge financièrement à 100% par l’Assurance Maladie. Elles représentent aujourd’hui 62% de ses dépenses totales. Néanmoins, les ALD sont causées par des facteurs de risque dits « modifiables ». Dans un contexte d’évolution sociodémographique en faveur du développement de ces maladies chroniques, la mise en place de mesures de prévention efficaces est indispensable.
ALD : des coûts toujours plus élevés
142 milliards d’euros ont été remboursés en 2018 par l’Assurance maladie pour les assurés du régime général. Parmi ces 142 milliards d’euros, 88 ont été dédiés à la prise en charge des maladies chroniques.
Si ces dépenses pèsent pour 62% des dépenses totales de l’Assurance maladie, elles ne concernent en revanche que 35% des assurés du régime général. Les 55% restants n’ont reçu que des soins qualifiés de « courants ». Ainsi, un patient atteint d’ALD se voit rembourser tous les ans 7068€ de frais de santé en moyenne, contre 1774€ pour une personne hors ALD.
On dénombre aujourd’hui 31 affections de longue durée (ALD). L’analyse croisée des dépenses moyennes par pathologie et de leur prévalence permet d’identifier les plus onéreuses d’entre elles. Au sein de ce groupe de pathologies, 2 dynamiques se distinguent :
- Les pathologies qui concernent un nombre important d’assurés mais ayant un coût moyen par patient relativement faible
- Celles qui concernent peu d’assurés mais pour lesquelles la dépense annuelle moyenne engagée par patient est élevée
Ainsi, les maladies cardio-neuro vasculaires, le diabète ou les maladies respiratoires chroniques appartiennent au premier groupe tandis que les maladies psychiatriques et les cancers actifs appartiennent au second.
ADAPTER LE DISPOSITIF DE PRÉVENTION POUR RÉPONDRE AUX ENJEUX À VENIR
L‘exposition à des facteurs de risque « modifiables »
Une forte proportion de la population française est exposée à au moins un facteur de risque dit « modifiable ». En d’autres termes, le risque peut être supprimé ou diminué en stoppant l’exposition à ce facteur.
En France la prévalence du tabac, des risques liés à la nutrition, de la consommation d’alcool et à l’absence d’activité physique sont respectivement de 14%, 13%, 7% et 2%.
Ces chiffres sont pour la majorité meilleurs que la moyenne européenne, mais néanmoins importants.
Facteur de risque : définition
Un facteur de risque est un élément qui augmente la probabilité de développer une maladie ou de souffrir d’un traumatisme. Il peut être inné ou « modifiable ».
Les facteurs de risques secondaires
L’exposition à des facteurs de risque comportementaux tels que la consommation excessive d’alcool, la consommation de tabac ou la sédentarité peut provoquer des facteurs de risques secondaires. Parmi eux, le surpoids ou l’hypertension artérielle. Ces facteurs de risques secondaires, eux, sont intrinsèquement liés à la survenue de nombreuses pathologies chroniques.
Ainsi, la prévention doit permettre de diminuer la prévalence de ces facteurs de risques et de facto, celle des affections de longue durée.
FACTEURS DE RISQUES COMMUNS MODIFIABLES |
FACTEURS DE RISQUES INTERMÉDIAIRES |
PRINCIPALES MALADIES CHRONIQUES |
Alimentation malsaine
Sédentarité Tabagisme Alcool |
HTA
Hyperglycémie Anomalies lipidiques Surpoids/obésité |
Cardiopathie
AVC Cancer Maladie respiratoire Diabète |
UN MODÈLE DE PRÉVENTION FRANÇAIS AMÉLIORABLE
Une multitude d’acteurs non coordonnés
La prévention fait l’objet de politiques publiques nationales notamment à travers le plan Priorité Prévention. Elle reste néanmoins réalisée par de nombreux acteurs travaillant de manière non coordonnée. Ainsi, les politiques de prévention nationales sont déclinées territorialement et les opérateurs privés ou publics locaux proposent une offre disparate.
Réduire les causes de mortalité évitables
La France obtient de très bons résultats s’agissant de la réduction de la mortalité dite évitable grâce aux traitements. C’est le signe du bon fonctionnement de son système de soins curatifs. En revanche, les résultats sont plus mitigés concernant les effets de la prévention Le taux de mortalité évitable grâce à la prévention est de 133 pour 100 000 habitants en France contre 100 à Chypre, premier pays européen.
Un investissement modéré en France
Les dépenses de santé en France sont plus élevées que dans la majorité des pays de l’Union européenne (UE). Pourtant, le budget annuel par habitant dédié à la prévention reste plus modéré. En effet, moins de 2% des dépenses de santé totales sont dédiées à la prévention contre 3,1% en moyenne en Europe. En Allemagne, a contrario, les dépenses liées à la prévention augmentent depuis 2015 et atteignent aujourd’hui 3% des dépenses de santé du pays. Cela représente près du double de ce qui est dépensé en France par habitant. En effet, le budget allemand s’élève à 127€/habitant en parité de pouvoir d’achat (PPA) contre 67€ en France et 89€ en moyenne en Europe.
Les résultats mitigés de la France en termes de prévention sont le signe d’une nécessaire prise en compte de ces problématiques par les autorités publiques. Aujourd’hui, la prévention relève avant tout d’actions de masse : obligation vaccinale des enfants, accès facilité au dépistage des principaux cancers, actions de sensibilisation (sécurité routière, sensibilisation aux risques liés à l’alcool etc.). Mais la prévention doit faire peau neuve pour répondre aux enjeux de demain. Ainsi, à l’image de la médecine dite personnalisée, un dispositif de prévention personnalisé permettrait via des actions ciblées de mieux prendre en charge les problématiques de chacun.
L’ESPACE NUMÉRIQUE DE SANTÉ : UNE NOUVELLE OPPORTUNITÉ DE PRÉVENTION
Face à cet enjeu de personnalisation, le partage de données via notamment l’Espace Numérique de Santé (ENS) apparait comme une opportunité. Déployé dès 2022, il sera créé automatiquement à la naissance pour chaque usager du système de soin français. Il doit permettre à tous d’avoir accès à l’ensemble des données relatives à leur santé. En outre, il offre la possibilité de communiquer avec les praticiens via une messagerie sécurisée.
L’ENS facilitera ainsi la prise en charge pluridisciplinaire des patients.
Personnaliser le système de prévention
Des actions de prévention personnalisées existent en France, à l’image du dispositif d’oncogénétique. Toutefois, le parcours lambda de prévention d’un citoyen est rythmé par des actions proposées au fil de l’eau selon son âge et son sexe. Sauf exception, la personnalisation ne va pas plus loin que ces critères aujourd’hui.
Or d’autres actions pourraient en complément être adressées à chacun au regard des facteurs de risque auxquels il est exposé.
Cette personnalisation de la prévention a deux avantages majeurs :
- Elle permet de prévenir les risques auxquels chacun est réellement confronté
- Elle facilite l’adhésion et l’observance des personnes concernées
Cependant, la faible communication des données de santé rend sa mise en place complexe. Pour autant, les réformes poussant le système de santé vers plus de numérique doivent permettre de faciliter le partage de données entre professionnels de santé, et avec le patient.
Définir une politique de prévention plus coordonnée
Avant la mise en place de l’ENS, la définition d’une politique de prévention plus coordonnée permettra de maximiser les impacts de ses actions.
Lancé en 2007 « Gaining Health : Making Healthy Choices Easier » est un programme national de prévention italien. Son objectif est de diminuer drastiquement la prévalence des 4 grands facteurs de risques modifiables au sein de l’ensemble de la population italienne. Pour ce faire, le programme s’appuie sur une approche multisectorielle et mobilise ainsi l’ensemble des acteurs des milieux sanitaire, social et environnemental.
Les résultats de l’état de santé de la population italienne et de la prévalence des différents facteurs de risque montrent que ce programme est une réussite. En effet, si la prévalence du tabac reste haute, celles de l’obésité et de l’alcoolisation rapide et excessive sont par exemple bien en deçà des moyennes européennes. Enfin d’autres indicateurs montrent la robustesse du modèle de prévention italien : espérance de vie, taux de suicide, hospitalisations et mortalité évitable liées à la prévention.
Ainsi, la mise en œuvre d’un programme de prévention mobilisant l’ensemble des acteurs autour d’un objectif commun semble être une stratégie adaptée, facilitée de surcroit par les évolutions numériques à l’œuvre. En effet, l’ENS doit par exemple permettre d’identifier et de mobiliser les acteurs de la santé autour d’évènements de vie charnières, tant dans le champ de la santé physique que dans celui de la santé mentale (grossesse, deuil, survenue d’un accident, perte d’emploi ou départ à la retraite).
L’ENS, outil d’empowerment des patients
L’empowerment doit permettre à chacun de renforcer sa capacité personnelle à agir sur les facteurs déterminants de son état de santé. Il s’agit d’une stratégie thérapeutique déjà largement utilisée en France dans les parcours de soins, bien moins en prévention.
Cette stratégie est pressentie comme étant un enjeu important de l’état de santé des populations. À travers les actions que peut avoir l’assuré (complétude du dossier, satisfaction patient etc.), l’espace numérique de santé doit permettre d’amplifier la dynamique d’empowerment des patients.
Si l’intérêt de l’ENS est démontré dans le domaine des soins, cet espace apparait donc également comme étant une opportunité pour la personnalisation du système de prévention français.
Les facteurs de risques secondaires
L’exposition à des facteurs de risque comportementaux tels que la consommation excessive d’alcool, la consommation de tabac ou la sédentarité peut provoquer des facteurs de risques secondaires. Parmi eux, le surpoids ou l’hypertension artérielle. Ces facteurs de risques secondaires, eux, sont intrinsèquement liés à la survenue de nombreuses pathologies chroniques.
Ainsi, la prévention doit permettre de diminuer la prévalence de ces facteurs de risques et de facto, celle des affections de longue durée.
Le déploiement de nouveaux outils numériques ainsi que les retours d’expérience des différents modèles de prévention existants doivent permettre aux décideurs de construire un modèle français de prévention efficient. La mise à disposition des données de santé des patients et la personnalisation du dispositif de prévention, doivent permettre d’adresser les bonnes mesures de prévention, au bon patient, au bon moment.
POUR ALLER PLUS LOIN
- Assurance Maladie. Rapport Charges et Produits – Propositions de l’Assurance Maladie pour 2021. 2020
- Commission Européenne. State of Health in the UE – Profils de santé par pays – France. 2019
- Organisation Mondiale de la Santé.
- OCDE.stat. OECD.Stat – Dépenses de santé et financement. [En ligne] https://stats.oecd.org/viewhtml.aspx?datasetcode=SHA&lang=fr.
- Centre d’éducation du patient. https://www.educationdupatient.be. [En ligne] 2021.