Par Caroline SCHWARTZ, Manager
Le constat du dernier rapport du GIEC est sans équivoque : le réchauffement climatique est en cours – +1,1°C depuis la fin du 20ème siècle – et cette tendance se poursuivra si les émissions de gaz à effets de serre ne diminuent pas fortement et rapidement. La stratégie nationale bas-carbone a défini en France un objectif d’atteinte de la neutralité carbone dès 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction des émissions de GES de 40% en 2030 par rapport à 1990. Le secteur hospitalier tient une position paradoxale : émetteur de 8% des GES en France, soit l’équivalent de 49 millions de tonnes de CO2, il contribue à la crise climatique autant qu’il en subit les effets, lui qui est en première ligne pour traiter les impacts sur la santé physique et mentale des populations.
Entre nécessité et opportunité, les établissements de santé et leurs tutelles ont ainsi un rôle clé à jouer dans la décarbonation du secteur.
Le secteur hospitalier contribue à la crise climatique et en subit les effets
Le secteur de la santé représente 8% des émissions de gaz à effet de serre en France
Les acteurs de la santé participent largement aux émissions de GES. Trois principaux domaines d’émission sont identifiés
- La consommation de médicaments et de dispositifs médicaux, comptant pour la moitié des émissions du secteur
- La consommation d’énergie, cause de 12% des émissions du secteur
- La mobilité des professionnels de santé et des patients, représentant 13% des émissions du secteur
Alors qu’ils contribuent à 37% de l’empreinte carbone du secteur[1], les établissements de santé sont déjà et continueront à être en première ligne des conséquences du réchauffement climatique. Parmi elles, la propagation de maladies, les canicules, les sècheresses, les cyclones sont en effet directement responsables d’au moins 150 000 décès par an, un chiffre qui devrait doubler d’ici 2030 selon l’OMS. Les établissements de santé devront donc faire face à une forte augmentation des besoins dans un contexte tendu de saturation des moyens.
[1] Données du Shift Project. Hors émissions associées aux achats de médicaments et dispositifs médicaux
Malgré une prise de conscience tardive, la dynamique de décarbonation s’accélère
Un secteur peu mature sur les problématiques de décarbonation
Longtemps oublié des politiques de décarbonation, le secteur hospitalier accuse un retard dans la définition d’un cadre réglementaire et de son application
- Malgré l’obligation légale qu’ont les établissements publics accueillant plus de 250 personnes de réaliser un bilan carbone tous les 3 ans, seuls 40% des établissements publics de santé en ont un.
- La loi Elan impose une réduction de consommation d’énergie de 40% d’ici à 2030 aux établissements de 1 000m². La mise en œuvre de la loi est ralentie par sa complexité car elle implique de répartir les surfaces selon la segmentation du ministère, de rattacher les consommations d’énergie à chaque bâtiment à partir de compteurs communs, tout en excluant la consommation d’eau chaude, jugée non prioritaire à ce stade.
- Si la loi Egalim à la restauration hospitalière d’inclure 50% de produits de qualité, dont 20% de produits issus de l’agriculture biologique, depuis le 1er janvier 2022, une enquête réalisée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), montre qu’aucun établissement répondant ne respecte ces objectifs.
Les faibles sanctions financières en cas de non-respect de la réglementation et les contrôles limités, comparés aux coûts d’investissement nécessaires pour mettre en œuvre des actions de transition écologique et aux fortes contraintes budgétaires qui pèsent sur les établissements, font pencher négativement la balance coût bénéfice. Ils entrainent ainsi un reclassement quasi systématique des projets à dimension écologique au second plan.
Une prise de conscience progressive de l’ensemble des parties prenantes
Le ministère de la Santé et de la Prévention, comme l’ensemble des acteurs de la santé prennent toutefois progressivement conscience des enjeux climatiques et commencent à s’emparer de cette problématique
- Au niveau national, le comité de pilotage de la planification écologique pour le secteur de la santé, sanitaire et médico-social, a été mis en place le 22 mai 2023. Présidé par la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, il réunit plusieurs ministères et des acteurs clés de la santé et est chargé de définir des engagements visant à assurer la transformation écologique du secteur sur le long terme. Le ministère de la Santé et de la Prévention a par ailleurs alloué, dans le cadre du Ségur de la santé, une enveloppe de 10 millions d’euros par an afin de créer et financer 151 postes de conseillers en transition énergétique et écologique en santé (CTEES). Ces derniers ont pour mission d’aider les établissements à réduire leur empreinte carbone.
- Le rôle des Agences Régionales de Santé (ARS) dans la décarbonation du secteur doit encore être précisé mais certaines spécifient les actions qu’elles souhaitent mener dans leur Schéma Régional de Santé. L’ARS Grand Est par exemple s’engage sur : la coordination des acteurs autour des travaux liés à la transition énergétique et écologique, l’amélioration des connaissances et des compétences des parties prenantes et l’accompagnement des actions du système de santé notamment à travers l’allocation d’une partie des crédits du Ségur de la santé.
- Les groupements hospitaliers territoriaux ou les établissements sanitaires engagent aussi des initiatives à leur niveau. Ainsi, ils intègrent la décarbonation à leurs volets stratégiques, mettent en place des comités ad hoc, développent et valorisent les initiatives, que ce soit en matière de soins, d’énergie ou de mobilité, tout en encourageant le partage de bonnes pratiques.
Par ailleurs, l’Agence Nationale d’Appui à la Performance a développé des outils pratiques, des appuis terrain et des communautés de pratiques à destination des décideurs et des professionnels des établissements. En parallèle, l’Assurance Maladie a créé la Mission nationale pour la Transition écologique du système de santé et la santé environnementale pour s’engager auprès des acteurs de santé en faveur de la décarbonation du secteur.
Des avantages nets à mettre en place des actions de décarbonation
Les établissements de santé s’interrogent sur le retour sur investissement des actions de décarbonation et doivent encore être convaincus. En effet, souvent perçues comme des investissements financièrement peu intéressants, les actions de décarbonation présentent pourtant plusieurs avantages pour eux :
- Face aux difficultés financières rencontrées, la transition durable peut être un moyen de trouver de nouvelles sources de financement. Dès 2024, des fonds spécifiques seront alloués à la rénovation écologique des bâtiments publics de la sphère médicale, dans le cadre des initiatives menées par le Secrétariat général à la Planification écologique. D’autres financements sont d’ores-et-déjà accessibles mais peu utilisés car méconnus des établissements de santé : financement de l’Agence de l’eau, de la banque des territoires, financements européens, etc.
- Avec une consommation électrique équivalente à celle de 5 millions de foyers, les établissements de santé subissent de plein fouet la hausse des coûts de l’énergie et ont vu leur facture multipliée par 3 à 4 en un an depuis 2022. La transition énergétique se révèle cruciale pour contrôler les coûts opérationnels associés à leur activité. Faire évoluer le mix énergétique, rénover pour éviter les pertes de chaleur, adopter des énergies plus vertes, etc. permettrait aux établissements à la fois de réduire leur empreinte carbone et de stabiliser leurs dépenses à long terme.
- Dans un contexte de crise d’attractivité, et alors que le personnel soignant manifeste une volonté d’agir pour la décarbonation de son activité, la transition écologique peut permettre de rallier les équipes autour d’un projet commun et pérenne et susceptible d’attirer davantage de professionnels de santé.
Comment se lancer dans la décarbonation de votre établissement de santé ?
Les plans d’actions varient selon votre niveau d’avancement.
Votre établissement souhaite se lancer dans une démarche de décarbonation ?
Trois étapes vous séparent de la mise en œuvre de vos premières actions de décarbonation :
1. Sensibiliser et acculturer les équipes aux enjeux climatiques afin d’amorcer les changements de pratique
Les enjeux de décarbonation restent peu connus au sein des établissements de santé. Pour faire changer les pratiques, vous devez donc passer par une première étape de sensibilisation des équipes. Différentes actions peuvent être mises en œuvre :
- Sensibiliser les équipes dirigeantes aux impacts à court, moyen et long terme,
- Acculturer à plus large échelle en utilisant des outils comme la Fresque du climat, et en organisant des groupes de travail en interne pour mutualiser les connaissances internes,
- Partager sur les initiatives individuelles et favoriser la réflexion collective.
2. Réaliser un bilan carbone et définir un plan d’actions partagé
Il est indispensable d’effectuer un état des lieux pour identifier les principaux postes d’émission de CO2 au sein de votre établissement. A partir de ce diagnostic, vous pourrez définir votre stratégie et vos cibles en matière de décarbonation et ainsi identifier puis prioriser les projets à mettre en œuvre pour l’atteindre. C’est en co construisant cette étape avec les équipes chargées de mettre en œuvre les projets que vous renforcerez leur adhésion et le déploiement des actions. La définition d’une feuille de route opérationnelle vous permettra ensuite de vous lancer opérationnellement.
3. Mettre en œuvre le plan de décarbonation
La mise en place d’un dispositif de pilotage et d’une gouvernance adaptés sont clés pour assurer la mise en œuvre effective de la feuille de route définie. Pour cela,
- Intégrez au maximum la gouvernance des projets de décarbonation aux instances existantes pour éviter d’emboliser vos équipes,
- Limitez le nombre d’indicateurs à suivre pour concentrer les efforts sur la mise en œuvre plutôt que le reporting
- Et structurez une démarche de conduite du changement pour encourager et accompagner les équipes dans ces nouvelles pratiques.
Enfin, n’oubliez pas de communiquer sur les résultats atteints, cela encouragera les porteurs de projet et facilitera la mobilisation de nouvelles équipes.
Vous avez réalisé votre bilan carbone, initié des premières actions et souhaitez aller plus loin ?
La prochaine étape n’est pas la plus simple mais elle peut vous apporter des avantages significatifs, en améliorant la satisfaction patient, les pratiques de vos équipes et votre situation financière.
Cette étape, c’est l’éco-conception, c’est-à-dire la protection de l’environnement dès la conception des biens ou services, via la réduction de leurs impacts environnementaux tout au long de leur cycle de vie.
Choisissez un service, le bloc opératoire par exemple, et détaillez le cycle de vie des opérations qui y sont effectuées, c’est-à-dire les flux physiques de matière et d’énergie associés à ces opérations : extraction des matières premières nécessaires à la production des outils utilisés, transformation, transport, distribution, utilisation et élimination.
Identifiez ensuite, pour chaque étape, comment vous pouvez réduire la consommation des ressources, augmenter la durée d’utilisation des ressources restantes et valoriser les matériaux en fin de vie en privilégiant réparation, réutilisation et recyclage.
Quel que soit votre niveau d’avancement, vous pouvez atténuer l’impact économique des mesures de décarbonation en activant les financements dédiés
De plus en plus de financements, français et européens, sont créés. Les demandes peuvent concerner aussi bien des postes spécifiques que des projets axés sur la décarbonation, tels que le financement des CTEES ou des initiatives dédiées à la rénovation écologique des bâtiments publics, programmées à partir de 2024. Elles peuvent également s’appliquer à des projets intégrant des actions visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, comme les financements du Ségur de la santé, dédiés aux investissements quotidiens ou aux travaux de rénovation des établissements. La mise en place d’une veille sur les moyens de financement au même titre que la veille mise en place par de nombreux établissements pour les appels à projet en recherche est une bonne façon d’identifier, à moindre frais, ces sources de financement.
Confrontés à d’importantes difficultés, tant financières que liées aux ressources humaines, les acteurs de la santé ont longtemps relégué au second plan la décarbonation de leur secteur. Si la mise en place d’actions sur ce sujet ne résoudra pas toutes leurs problématiques, elles peuvent y apporter des éléments de solutions, tout en contribuant à l’atteinte de la stratégie nationale bas carbone.
Pourquoi les établissements de santé ne font-ils pas plus pour la décarbonation ?
Notre filière santé
Eurogroup Consulting accompagne l’ensemble des acteurs de la santé et de la protection sociale, en central ou au sein des réseaux, dans la définition et la mise en œuvre des changements nécessaires pour faire face aux mutations de leur écosystème.
Matthieu Sainton
Associé, Eurogroup Consulting