Par Fabien Cramard, Manager
Dans un contexte où la démographie médicale est très fragile voire précaire, les établissements publics de santé font face à un vrai casse-tête. Comment assurer une permanence des soins qui réponde aux besoins de la population tout en optimisant le temps médical et en répondant mieux aux exigences de qualité de vie au travail des soignants ? C’est à ce dilemme que la récente proposition de loi « Améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels », promulguée le 27 décembre dernier, tente de répondre. Il s’agit, par-là, de donner aux agences régionales de santé une plus grande flexibilité pour organiser les structures sanitaires locales et rééquilibrer les forces médicales en présence. Pour réussir cette restructuration majeure, il leur faudra toutefois prendre en compte certains impératifs incontournables. Tour d’horizon des enjeux et des conditions de réussite de cette transformation nécessaire de notre système de santé.
La permanence des soins : une mission de service public indispensable pour répondre aux besoins de proximité
La permanence des soins (PDS) est une mission de service public, destinée à répondre aux besoins de soins en santé non programmés en dehors des heures d’ouverture habituelles. Elle se distingue de la continuité des soins qui est une obligation réglementaire pour toutes les unités de soins d’assurer la prise en charge des patients déjà hospitalisés (sur ces mêmes périodes). La permanence des soins s’organise et se répartit entre secteurs public et libéral :
- Dans le libéral, au travers de l’organisation de la permanence des soins ambulatoires (PDSA)
- Dans les services d’urgences (SU)
- Dans les établissements de santé, au travers de la permanence des soins (PDSES)
Pour renforcer l’équilibre et l’efficacité globale du système de santé, une multitude d’initiatives ont émergé, aux côtés de la PDS, parmi lesquelles le Service d’Accès aux Soins (SAS), récemment déployé à l’échelle nationale. Ce nouveau service a pour objectif d’orienter la population dans son parcours de soins et de lui permettre d’accéder à toute heure à un professionnel de santé, que ce soit dans le public ou en libéral.
L’organisation, à la maille des territoires, peine à trouver sa juste échelle
Pour prendre en charge les soins qui relèvent de son périmètre, la PDSES doit mobiliser des ressources soignantes et des plateaux techniques à l’échelle de la région. La maille locale est nécessaire pour répondre au besoin d’un service de proximité et limiter les pertes de chance. C’est ainsi qu’un grand nombre d’hôpitaux avec des services d’urgence et des plateaux techniques disposent aujourd’hui d’une PDSES étoffée dans un volume de spécialités important, et ce, parfois sur un même territoire.
Toutefois, compte tenu des contraintes imposées par l’augmentation des besoins de la population en matière de prise en charge médicale d’une part et du déficit en ressources médicales d’autre part, l’organisation de la PDSES doit évoluer pour atteindre sa bonne échelle.
Les raisons d’un fonctionnement dégradé sont nombreuses
La PDSES, évolue dans un environnement « disparate » et fragilisé
- Pression démographique croissante
- Pénibilité au travail avec répétition des astreintes et gardes sur place face à une démographie médicale hospitalière en tension
- Attentes plus élevées des professionnels de santé en matière de qualité de vie au travail
- Fragilité des organisations soignantes
- Hétérogénéité des modalités de déploiement de la PDSES en région
- Déséquilibre des contributions entre secteurs public et privé
Le déséquilibre entre public et privé se creuse
Le ministre de la Santé et de la Prévention a saisi en 2023 l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) pour réaliser une mission relative au fonctionnement de la PDSES et aux défis à relever afin de maintenir ce dispositif dans la durée. Les enquêtes réalisées dans le cadre de cette mission mettent en exergue le rôle des établissements publics qui assurent 82% des gardes et 77% des astreintes.
De fait, la PDSES constitue le « poids mort » des équipes publiques. Ces dernières doivent en effet composer avec cette charge qui impacte de façon significative la qualité de vie au travail. Il faut 5 médecins temps plein pour assurer une permanence des soins soutenable pour les équipes. Or, en moyenne ce sont plutôt 2 à 3 praticiens par discipline de spécialité qui composent les équipes médicales actuelles dans les centres hospitaliers généraux de taille petite à moyenne.
Les organisations existantes qui reposent sur un nombre limité de praticiens entretiennent ainsi une dépendance de la PDSES à des ressources extérieures et à des valorisations financières complémentaires alors même que le contexte budgétaire et financier est particulièrement tendu.
Il est urgent de refondre en profondeur ce dispositif phare
Fort de ces constats, le Sénat a adopté le 18 décembre dernier un projet de loi visant à Améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels.
- Un nouveau schéma régional d’organisation de la PDSES pour une plus grande homogénéité et plus d’équité
Compte tenu des difficultés éprouvées ces dernières années, les ARS doivent pleinement s’emparer du sujet pour redessiner le schéma régional d’organisation et de fonctionnement de la PDSES. Celui-ci reposera sur 3 piliers structurants :
- Une meilleure prise en compte des besoins de chaque territoire
- Une meilleure évaluation des forces médicales en présence
- La compréhension par l’ensemble des professionnels de santé d’une « responsabilité collective »
Ainsi, en répartissant l’effort entre toutes les structures et tous les médecins d’un territoire, l’ambition gouvernementale est avant tout de rétablir un meilleur équilibre organisationnel, médical et financier entre les établissements publics et privés.
Il s’agit également d’homogénéiser les modalités de mise en œuvre de la PDSES en région, tout en préservant une certaine souplesse permettant de prendre en compte certaines spécificités locales.
Pour autant, la restructuration d’un tel dispositif pour l’amélioration de notre système de santé, ne pourra réussir qu’à la condition d’observer plusieurs lignes de conduite majeures. Elles sont au nombre de cinq :
- Tout d’abord, partager au niveau territorial, entre plusieurs structures qu’elles soient publiques ou privées, des lignes de gardes et d’astreintes, afin de renforcer la solidarité en situation de carence médicale
- Fournir ensuite une réponse et une organisation adaptées aux besoins exprimés au sein de chaque structure
- L’effort devra porter sur une mutualisation de certaines compétences et profils au service de la PDSES, quelle que soit la structure de rattachement du professionnel de santé
- Le nouveau schéma régional devra permettre d’assurer une meilleure adéquation entre la dimension financière et la réalité des missions assurées : stabilité et équité entre gardes et astreintes, soutenabilité du système, etc.
- Enfin, la réussite de cette refonte ne pourra se faire, loin s’en faut, sans la prise en compte de l’humain à la manœuvre. Dès lors, il s’agira d’inventer les leviers d’une meilleure reconnaissance et d’un véritable accompagnement des praticiens mobilisés de nuit, ainsi que les week-ends et jours fériés.
Reste à savoir si de telles ambitions seront opérationnelles dans un contexte marqué par de fortes tensions sur la démographie médicale.
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Eurogroup Consulting accompagne l’ensemble des acteurs de la santé et de la protection sociale, en central ou au sein des réseaux, dans la définition et la mise en œuvre des changements nécessaires pour faire face aux mutations de leur écosystème.
Matthieu Sainton
Associé, Eurogroup Consulting