La crise du Covid-19 accélère l’adoption de l’utilisation des services financiers digitaux. Une étude annonce une hausse de 72% des usages de ces applications par les particuliers depuis le début de la crise. Dans le même temps, cette crise bouleverse le paysage des fintechs. Les moins armés des néo-banques, acteurs des paiements, nouveaux gestionnaires d’actifs et plateformes de financements participatifs devraient le plus souffrir, touchés par les enjeux de financement. La crise actuelle ouvre des perspectives pour les acteurs traditionnels, qui se recentrent vers leur rôle de tiers de confiance et qui devront accélérer encore plus leur transformation digitale.
TOUR D’HORIZON DES IMPACTS DU COVID-19 POUR LES FINTECHS
Difficultés pour les acteurs dépendants des transactions
Les startups spécialisées dans les paiements et les néo-banques qui tirent leurs revenus des transactions voient leur activité s’écrouler. Une étude récente prévoit un ralentissement de l’ordre de 10% des revenus des transactions à l’échelle mondiale en 2020. Les transactions les moins essentielles devraient en pâtir en premier. Il s’agit notamment des transactions entre particuliers, celles liées au tourisme ou encore les flux des banques secondaires.
Lydia, acteur phare des paiements entre particuliers en France, qui a récemment levé 3M€ auprès du géant chinois Tencent, annonce que ses transactions quotidiennes ont chuté de 75%.
Toutes les néo-banques annoncent des mesures d’économie même si elles défendent leur modèle, porté par le tout-digital. Monzo, la néo-banque britannique à 4M de clients met près de 20% de ses salariés au chômage partiel, son patron renonce à son salaire pendant un an et son Comex réduit sa rémunération d’un quart.
Retour en arrière sur les investissements risqués
Les plateformes de gestion d’actifs et autres robot-advisors voient également leurs activités souffrir. Les investisseurs vont réorienter leurs capitaux sur des actifs moins risqués aussi longtemps que l’incertitude règnera sur l’économie mondiale. La confiance des investisseurs envers les robot-advisors qui n’ont pas vu venir ce choc exogène ne reviendra pas avant 12 à 18 mois, durée estimée par JP Morgan pour un retour à la normale.
Les plateformes de financement participatif craignent une augmentation du taux de défaut dans les prochains mois. En effet, cette activité est directement liée à l’économie réelle et à la façon dont les TPE / PME résisteront. Certaines, comme October, optent pour des mesures de gel du remboursement en capital des investisseurs et d’arrêt de prélèvement des frais. Néanmoins, toutes les plateformes n’auront pas la trésorerie pour tenir sur la durée. La solidarité des investisseurs, quant à elle, pourrait finir par s’étioler.
Espoir pour les fintechs BtoB
A contrario, les gagnants de la crise pourraient être les fintechs BtoB offrant des services d’Intelligence Artificielle (IA), de logiciels, d’automatisation, d’Internet des objets (IoT). En effet, leurs principaux clients sont des acteurs traditionnels des services financiers qui devront accélérer leur transformation dans les prochains mois.
LE FINANCEMENT DES FINTECHS : LE DEFI MAJEUR DE COURT TERME
Ralentissement des levées
Les levées de fond ralentissent et les acteurs les moins armés n’auront pas la trésorerie pour résister à la vague. Le fond d’investissement FinchTech observe déjà une baisse des levées de fond sur le Q1 2020. Les mesures gouvernementales de soutien visent à pallier ce creux de financement. Cédric O, le secrétaire d’État chargé du Numérique, a annoncé fin mars une enveloppe de 160M€ de financements soutenus par des privés et le Programme d’Investissement d’Avenir (en obligations ouvrant des droits au capital) pour les startups qui devaient boucler leur tour de table avant la crise et qui subissent le retournement des Venture Capitalists (VCs). S’ajouteront des prêts en trésorerie assurés par des banques privées et BPI France.
Concentration à venir
Nous anticipons donc une période de concentration post-crise où des fusions-acquisitions pourraient avoir lieu entre les fintechs elles-mêmes et avec des acteurs traditionnels. Les plus fragiles pourraient choisir d’être absorbées avant de voir leur valorisation chuter. Les acteurs traditionnels y verront des opportunités en sortie de crise pour accélérer leur transformation digitale.
Sauvegarde de trésorerie
Au-delà des mesures d’économie, la capacité à mobiliser les aides est au cœur des préoccupations des dirigeants des fintechs les moins solides financièrement. La crainte du manque de liquidités à court et moyen termes pourrait peser sur les décisions d’investissements pour continuer la conquête des clients et la course au développement des actifs technologiques. Ce sont probablement les jeunes pousses ayant bouclé leur premier ou second tour de financement qui seront les plus en difficulté. La pression des fonds risque de se faire sentir, ceux-ci réclamant la fin de la promesse de rentabilité à long terme et un retour vers des investissements plus sûrs.
PERSPECTIVES POUR LES BANQUES TRADITIONNELLES
Pas de marche arrière sur les usages digitaux
Dans la course aux nouveaux usages digitaux, les néo-banques les mieux installées réagissent vite pour faire de la conquête. N26 a simplifié son processus d’onboarding. Plus besoin d’attendre la réception du moyen de paiement pour activer le compte. Revolut a ouvert fin mars aux US. Et pendant ce temps-là, les banques en ligne continuent la course à l’acquisition avec des primes parfois doublées (comme ING).
Les banques traditionnelles ont réagi en recentrant encore plus leurs modèles relationnels sur les usages à distance. La majorité des banques permettent aux particuliers de se déplacer dans les agences bancaires mais cette possibilité est réservée aux opérations qui ne sont pas encore digitalisées et uniquement sur rendez-vous. Les plateformes téléphoniques s’adaptent également pour endiguer le flux de contacts.
Renforcement du rôle de tiers de confiance
Toutes les banques traditionnelles jouent, à juste titre, la carte du renforcement de leur rôle de tiers de confiance en cette période. Les particuliers, professionnels et entreprises pourront se reporter logiquement vers les solutions de leur banque principale. En effet, la robustesse financière et la proximité avec les Etats et les régulateurs permettent de réagir vite. Ainsi, ces banques proposent des solutions aux clients : les modulations d’échéances de crédit pour les particuliers ou l’octroi accéléré des Prêts Garantis par l’Etat pour les entreprises constituent des réactions positives en ce sens.
La sortie de crise, accélérateur de la transformation digitale
Toutefois, le retour vers les acteurs traditionnels se confirmera à la condition d’une répercussion sur les prix limitée et la démonstration de services digitaux de qualité. Les clients s’habituent vite aux usages digitaux et à la relation client distanciée. Il pourrait en coûter aux acteurs en retard sur les technologies.
Même pour les plus aguerris, les potentiels d’automatisation sont toujours à aller chercher. C’est pourquoi les projets de productivité devraient fleurir post-crise. L’autre levier naturel de la rationalisation des réseaux physiques est déjà activé par tous les acteurs. Le rythme des trajectoires sociales ne permet pas d’aller beaucoup plus vite.
Les acteurs traditionnels ont une carte à jouer dès à présent : étudier les fintechs qui peuvent venir renforcer l’actif technologique. C’est l’occasion d’élargir la gamme de produits ou de services en particulier celles qui pourront aider à franchir un cap dans l’automatisation des opérations.
Et enfin pour les plus téméraires, pourquoi ne pas imaginer des actions plus offensives vers les clients fragilisés des néo-banques ? Ce segment de clientèle touché par la crise peut constituer un vivier de croissance et rencontrer une offre plus complète chez les acteurs traditionnels.
Félix Fabre, Manager, Eurogroup Consulting