Que signifient les annonces de Stellantis sur ses partenariats de financement automobile ? Bertrand de la Villéon, associé chez Eurogroup Consulting, analyse pour le Journal de l’Automobile les grandes manœuvres qui se préparent derrière cette nouvelle répartition des rôles.
Stellantis a revu en profondeur ses partenariats stratégiques dans le domaine du financement automobile. Au premier abord on pourrait se dire : « Quelle belle opération de bonneteau ! » mais en y regardant de plus près cela relève davantage d’une manœuvre habile et de haute volée qui prépare l’avenir du groupe.
Depuis l’annonce de la fusion entre PSA et FCA donnant au groupe Stellantis, de nombreuses actions post-fusion ont été engagées à marche forcée : achats, gammes et plateformes, investissements, stratégie commune sur le véhicule électrique, empreinte industrielle, refonte des accords distribution avec les concessionnaires marques… avec, à ce jour, une capacité à tenir les engagements et probablement, demain, une capacité d’atteindre les promesses de synergies attendues.
Le financement apparaissait comme une priorité n°2 face à un des schémas de partenariats très complexes à détricoter et ceci même si le financement reste le nerf de la guerre pour un constructeur automobile quand plus des ¾ des véhicules sont vendus avec un financement associé.
En effet, Le groupe PSA pour ses marques Peugeot et Citroën avait choisi en 2015 (comme une des conséquences de la crise de 2009) de monter une JV 50/50 avec Santander Consumer Banque sur 11 pays européens, puis suite au rachat d’Opel-Vauxhall en 2017, il avait opté pour une JV 50/50 avec BNP Paribas Personal Finance (OVF). Enfin, Fiat avec Fiat Bank et Leasys avait historiquement un partenariat financement avec le Crédit Agricole Consumer Finance sur 18 pays. Ceci pouvant conduire jusqu’à disposer, dans certains pays, de 5 partenaires différents pour le financement. Ubuesque !
Les annonces du vendredi 17 décembre 2021 montrent que ce chantier avait malgré tout été engagé et avançait lentement mais surement. A la lecture attentive des communiqués de presse, il en ressort les enseignements clés suivants.
LA LOGIQUE DE CAPTIVES VIA DES JV AVEC DES PARTENAIRES BANCAIRES EST ENTÉRINÉE
Imaginé pour dégager des liquidités en urgence au moment de la crise de 2009, ce montage répond en fait assez bien aux enjeux d’avenir pour les captives du groupe. En effet, cela leur permet de disposer d’un accès à un refinancement sécurisé et à des couts optimisés (les banques disposant souvent d’un meilleur rating prudentiel) et de voir le bilan du constructeur toiletté positivement par la réduction des ratios d’endettement. De plus, les fonds propres qui seront nécessaires pour à la fois accompagner une stratégie de distribution du constructeur vers des ventes directes et assurer le financement des stocks des futurs contrats d’agents (récemment renouvelés au sein des marques Stellantis) ne pourront probablement pas être portés par le seul constructeur. Disposer d’un partenaire bancaire à ses côtés permet de partager le fardeau d’autant plus que les futurs agents auront l’obligation de passer par la captive du constructeur pour les propositions de financement de leurs clients.
SAVOIR GARDER LE HAUT DE LA PISTE
Conserver plusieurs partenaires permet à Stellantis de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et de conserver un rapport de force pouvant se relever utile dans la durée afin de rester agile au regard des évolutions de cette nouvelle architecture de partenariats. Cette même stratégie avait déjà été activée pour ne pas retenir Santander Consumer Banque comme partenaire de financement lors du rachat d’Opel-Vauxhall mais in fine de l’ouvrir à BNP Paribas Personal Finance.
LE CRÉDIT AGRICOLE REMONTE DANS LE TRAIN DU LEASING
Avec 700 000 véhicules en contrat et une cible à 1 million en 2025, la nouvelle structure commune envisagée avec Stellantis rentre dans le top 5 des leasers. Cela représente un come-back indiscutable du Crédit Agricole sur ce marché face à BNP Paribas et Société Générale, et ceci alors qu’il n’avait pas saisi cette opportunité il y a 20 ans. Pour Stellantis, cela permet de rattraper son retard sur d’autres constructeurs comme VW. Néanmoins, cette nouvelle entité reste encore très loin des deux leaders, Arval, filiale de BNP Paribas qui dispose de 1,3 million de véhicules en contrat, et plus encore ALD Automotive filiale de Société Générale, surtout si les discussions engagées depuis octobre avec LeasePlan aboutissent, ce qui en ferait après fusion l’acteur leader absolu du marché avec plus de 3,5 millions de véhicules en contrat. On devine assez bien que le marché du leasing va devenir plus concurrentiel et donc les opportunités de développement plus difficile à concrétiser !
BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE RENFORCE SON PARTENARIAT AVEC STELLANTIS MAIS SE RETROUVE DANS UNE SITUATION POUR LE MOINS PARTICULIÈRE…
En effet, cette nouvelle donne permet à BNP Paribas de renforcer de près de 6 milliards d’euros ses encours automobiles mais la banque sera à la fois client de Stellantis (avec Arval), partenaire (avec la JV avec BNPPF pour le financement des 14 marques du groupe en Allemagne, UK, Autriche) et enfin concurrent (entre Arval et la nouvelle co-entreprise dans le leasing montée avec CACF et entre Cetelem et la JV avec Santander Consumer Banque en France, Italie, Espagne, Belgique, et Pays-Bas). Il faudra avoir du doigté pour gérer au mieux ce mélange des genres !
QUEL AVENIR POUR FREE2MOVE QUI SE VOIT AMPUTÉ DE L’ACTIVITÉ LEASING OPÉRATIONNEL
Free2Move Lease qui rejoint la corbeille de la mariée de la nouvelle entité avec CACF. Cela constitue finalement une bonne façon de plonger cette marque dédiée aux nouveaux services de mobilité dans le grand bain. Elle devra faire ses preuves et redoubler d’efforts pour enfin dégager le niveau de revenus tant attendu lié à la révolution de la mobilité !
LES FINANCIÈRES SPÉCIALISÉES DOIVENT REVOIR LEUR STRATÉGIE
Les nouveaux accords donnent la possibilité aux acteurs spécialisés (CGI Finance, Cetelem, Sofinco Auto Moto Loisirs…) d’adresser de nouvelles cibles de concessionnaires des marques. Mais le plus grand challenge sera de repenser leur stratégie alors que le financement du véhicule neuf (VN) va devenir un marché quasi inaccessible. Restera le VO et les nouveaux services de mobilité comme terrain de développements possibles, ce qui sera un moyen de voir se lever un vent nouveau d’innovation dans les offres (déjà en réflexion ou en expérimentation chez certains acteurs).