Depuis quelques mois, le monde des entreprises et des nations est atteint par une nouvelle mode inarrêtable et quasi universelle, l’obligation d’utiliser une énergie « vertueuse ».
Derrière ce vocabulaire politiquement correct, il s’agit d’engager les organisations volontairement et ostensiblement dans la lutte universelle contre le réchauffement climatique fondée sur l’accord de Paris de 2015. Pour le moment, la palme de ces engagements revient incontestablement à Microsoft qui vise d’ici 2050, non seulement à atteindre la neutralité carbone, mais en plus à retirer de l’environnement tout le carbone qu’elle a pu émettre depuis sa création en 1975 !
Le flou des appellations
La première chose qui saute aux yeux dans ce déferlement, c’est l’hétérogénéité de cette énergie « vertueuse ».
Ainsi, selon Green Tech media, chaque semaine aux Etats-Unis, il y a une nouvelle déclaration d’une société, d’une ville, d’un État ou d’un service qui s’engage à atteindre les « 100 % »…. Ainsi :
- La Floride et le Maine veulent obtenir 100% de l’électricité à partir d’énergies renouvelables d’ici le milieu du siècle ;
- New Mexico et Georgia veulent 100 % d’énergie propre d’ici 2050 ;
- La Californie et New York veulent obtenir 100 % de sources d’énergies sans carbone d’ici là ;
- Dans le secteur des utilities, Xcel Energy envisage une production d’électricité 100 % sans carbone d’ici 2050, tandis que Green Mountain Power veut 100 % d’énergie renouvelable.
On retrouve les mêmes variances au niveau des métropoles et des grandes entreprises. Au travers d’une ambition à priori commune, les objectifs varient énormément en termes de timing, de contenu et de complexité.
Un essai de clarification
Essayons donc d’éclairer cette avalanche terminologique, en nous focalisant sur les qualificatifs qui reviennent le plus souvent : Bas Carbone, Renouvelable, Vert, Propre.
L’énergie bas carbone
Si l’on s’en tient à la lettre aux accords de Paris, c’est la seule définition qui soit cohérente avec les objectifs. L’énergie décarbonée est constituée de toute ressource qui ne produit pas de CO2 lorsqu’elle produit de l’énergie. Presque toutes les sources d’énergie renouvelables (non épuisables) comme l’énergie éolienne, le solaire ou l’hydroélectricité sont considérées comme exemptes d’émission de carbone, à l’exception de la biomasse. Mais, bien qu’elle ne soit pas considérée comme renouvelable, l’énergie nucléaire est également classée comme décarbonée, du fait que cette énergie est libérée par la fission et non par un processus de combustion.
L’énergie renouvelable
Il est intéressant de constater qu’au début du XXème siècle, le terme renouvelable était réservé à la force animale et au bois[1], tandis que les énergies hydrauliques ou éoliennes étaient qualifiées « d’inépuisables ».
A l’heure actuelle, l’énergie renouvelable est définie comme « une source d’énergie naturellement reconstituable mais limitée en termes de flux ». Si elle est pratiquement inépuisable dans le temps, elle présente en effet une limite dans la quantité d’énergie disponible par unité de temps. Les ressources renouvelables les plus importantes sont, à l’heure actuelle, les énergies éolienne, solaire, hydraulique, biomasse ou géothermique.
[1] cf. Bell : The Utilization of Natural Energy – 1906
L’énergie verte
Il s’agit ici du concept le plus utilisé dans le discours grand public mais, paradoxalement, c’est aussi le plus flou. L’énergie verte est une sorte de sous-ensemble des énergies renouvelables, celles qui offriraient les avantages environnementaux les plus élevés. Il s’agirait de l’énergie éolienne, du solaire, de l’hydroélectricité à faible impact, de la géothermie, et de la biomasse correctement traitée. Donc, l’énergie verte ne comprend que des sources renouvelables, mais toutes les ressources renouvelables ne relèvent pas de l’énergie verte.
L’énergie propre
L’énergie propre est un terme générique qui inclut « l’énergie renouvelable, l’efficacité énergétique et la combinaison efficace chaleur/énergie » et qui se caractérise par une faible production de déchets ou de faibles rejets de type particules. Il peut donc être utilisé pour décrire l’énergie provenant des ressources renouvelables, ainsi que l’économie d’énergie obtenue grâce à l’augmentation de son efficacité, comme l’installation d’éclairage LED, ou grâce à un système qui utilise de l’énergie qui, sinon, aurait été gaspillée. Ainsi, l’énergie propre englobe la production d’énergie et les actions liées à l’usage de l’énergie, qui visent à créer un environnement plus durable.
Mais le diable est dans les détails
Malheureusement, la réalité est souvent assez différente de ces définitions théoriques.
Le bas carbone n’est pas l’apanage des renouvelables
Beaucoup d’acteurs limitent, volontairement ou non, le décarboné aux énergies renouvelables.
Or, selon l’AIE, l’énergie nucléaire est actuellement la plus grande source d’électricité à faible émission de carbone en Europe. Toutefois les centrales du continent vieillissent, ce qui risque de constituer un handicap majeur pour l’UE 27 dans son effort de tendre vers une économie zéro-carbone
D’autre part, la chasse au carbone ou plus précisément au dioxyde de carbone, ne doit pas faire oublier les autres gaz à effet de serre, et en particulier le méthane, qui, comme le précise le GIEC, a un facteur GWP (Global Warming Potential) 36 fois supérieur au CO2 sur un siècle. Or beaucoup d’émissions de ces gaz ne sont pas liés à des utilisations énergétiques et échappent donc aux politiques dominantes.
Enfin l’énergie décarbonée conduit logiquement à la neutralité carbone. Mais dans ce domaine les GAFA, pleinement conscientes de l’impact social du concept, sont en train, en confisquant le concept par le biais du marketing, de l’utiliser comme moyen d’accroitre leur domination sur le marché mondial.
Tout n’est pas renouvelable dans le renouvelable
Si les énergies renouvelables sont censées être reconstituables, il n’en va pas de même pour la fabrication des équipements nécessaires à leur captation. Le 24 juin 2019, la Commission européenne a averti qu’au fur et à mesure que l’Europe abandonnait les combustibles fossiles au profit de l’énergie propre, elle devait éviter de tomber dans un autre piège lié aux matières premières et à la dépendance technologique. Il en va, en particulier, de la dépendance que les technologies renouvelables génèrent vis-à-vis des terres rares dont la Chine contrôle environ 80 % de l’offre mondiale.
En outre les énergies éoliennes et solaires sont dévoreuses de beaucoup plus d’espaces que les centrales électriques classiques, et le renouvelable n’est pas synonyme de durabilité. En dehors de l’hydraulique, les instruments de production d’énergie renouvelable ont des durées de vie beaucoup plus courtes (entre 20 et 25 ans) que les équipements traditionnels et posent de surcroit d’importants problèmes de démantèlement en fin de vie.
Vous avez dit « vert » ?
Un aspect très contraignant pour les énergies « vertes » de type éolien ou solaire tient au fait qu’elles ne sont pas autoporteuses, c’est-à-dire que leur intermittence les empêche de remplacer à l’identique les sources programmables, que celles-ci utilisent des combustibles fossiles ou nucléaires, et qu’il est donc nécessaire de les accompagner de centrales de back-up (fonctionnant essentiellement au gaz) ou d’unités de stockage de puissance.
Ainsi les lobbies verts aveuglés par leur rejet viscéral du nucléaire, en prônant le développement des sources vertes, préfèrent privilégier de facto le recours au gaz naturel pour compenser le retrait du charbon ou d’un parc nucléaire vieillissant, comme c’est le cas très clairement en Belgique ou en Allemagne, ce qui constitue une pure hérésie dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Pas facile d’être propre
Sur ce plan il n’y a pas plus bel exemple que le bannissement, déclaré de façon unilatérale et brutale, des véhicules diesels, par de nombreux maires de grandes métropoles mondiales, ce qui, loin d’aboutir à la hausse du nombre de véhicules propres, s’est traduit par une progression des véhicules à essences, émettant plus de CO2 que leurs équivalents diesels.
Pire, dans certains cas le développement des énergies propres est susceptible de générer de graves problèmes humains. Ainsi, dans un procès intenté fin 2019 à Washington contre Apple, Tesla, Dell, Microsoft et Google, des familles africaines réclament des dommages-intérêts pour travail forcé des enfants dans les mines de cobalt. Or le cobalt constitue un des métaux clés pour la production des batteries ion-lithium, et donc un élément stratégique pour les grandes entreprises de la tech.
Plus globalement le recours aux énergies propres génère des problèmes croissants de fracture sociale avec un impact sur le pouvoir d’achat des segments de populations les moins aisées des pays développés, qui permet de projeter des conséquences encore plus lourdes pour les populations des pays émergents.
La taxonomie « verte » de l’UE
Cette distorsion entre terminologie et réalité des faits a atteint ces derniers mois un nouveau sommet au niveau européen, avec le dossier de la taxonomie « verte ».
Ce dossier se situe au cœur de la définition par l’UE des investissements « durables ». Comme la lutte contre le changement climatique implique des investissements considérables, les institutions européennes se sont lancées dans la définition d’une « taxonomie » permettant de définir les « bons » investissements et d’éliminer les « mauvais ». Elle comprend trois catégories d’activités économiques :
- Verte (Green activities)
- De transition (Transition activities)
- Permettant la transition (Enabling activities).
Dans ce projet, le principe dit « d’absence de préjudice », s’il était retenu, ferait automatiquement sortir l’énergie nucléaire et le gaz de la première catégorie, ce qui constitue un non-sens pour le nucléaire, compte tenu des objectifs « zéro-carbone » du Green Deal européen.
Les deux énergies ne pouvant être incluses dans la catégorie « verte », elles vont être analysées par la Commission entre 2020 et 2021 pour voir dans quelle mesure elles pourraient faire partie des autres composantes de la taxonomie, ce qui, en cas de rejet, laisserait l’hydraulique comme seule énergie programmable bas carbone significative et finançable par l’Union, alors qu’elle ne représente que 10 % de la production totale.
L’illusion de voies nobles chassant des pratiques nocives
En résumé, dans le domaine des qualifications énergétiques, l’irrationnel et l’imprécision l’ont emporté sur la mise en place de politiques étayées par une vision systémique, et fondée sur une cohérence technologique.
Il est puéril de penser, qu’après avoir vécu pendant des siècles avec des énergies que l’on qualifie maintenant de « sales », nous aurions réussi, en une décennie, à inventer miraculeusement des sources énergétiques parées de toutes les vertus.
La doxa écologiste, soutenue par certains lobbies industriels, en créant une séparation complétement partisane entre de « bonnes » et de « mauvaises » énergies pourrait aboutir au résultat inverse de l’objectif, c’est-à-dire à l’échec de la réalisation d’une économie européenne décarbonée.
Sans retour à la cohérence le climat continuera à se dégrader
L’Europe s’était historiquement fixé un triple objectif énergétique :
- Assurer sa sécurité d’approvisionnement ;
- Fournir à sa population l’énergie au meilleur coût possible ;
- Réduire son impact environnemental.
La multiplication des objectifs contradictoires des derniers « packages » énergétiques pour 2020 et 2030, ont fait perdre cette vision globale et ont abouti à une simple focalisation sur quelques moyens « verts ou renouvelables » qui ne sauraient réponde globalement aux objectifs climatiques, alors que l’on cherche à supprimer d’autres moyens qui, au contraire, peuvent contribuer à les atteindre.
Il est donc essentiel de sortir au plus vite de cette impasse dramatique, de cesser les incantations et de construire une vision de long terme réellement focalisée sur l’objectif bas carbone.
Comme le déclarait en juin l’AIE dans son rapport « Sustainable Recovery » : « La fermeture anticipée de centrales nucléaires, qui menace des milliers d’emplois, pourrait entraver l’atténuation des changements climatiques ».
Jean-Jacques NIEUVIAERT, Président de la Société d’études et de prospective énergétique
A lire
Abandoning the concept of renewable energy – Univ of Aalto
Energy Terminology – US Department of Energy
« The interchange podcast of GTM: The Age of 100% » – Green Tech Media
IEA special report, « Nuclear Power in a Clean Energy System »
Provisional Agreement for the regulation of the EP and of the Council on the establishment of a framework to facilitate sustainable investment
IEA « Sustainable Recovery »