Le 25 janvier dernier, après de multiples atermoiements, le gouvernement français avait enfin eu le courage de rendre public son projet de Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) pour les périodes de 2019-2023 et 2024-2028. Même si cette « stratégie française pour l’énergie et le climat » est un « monstre » de 368 pages, ce n’est pas sa taille qui a expliqué sa difficulté d’accouchement.
La PPE constitue une gigantesque foire au business
Cette foire oppose d’un côté les « méchants », sous-entendus les lobbies nucléaires et pétroliers, et de l’autre les « gentils », sous-entendus les gaziers, les groupements ENR comme le SER ou FEE et enfin les environnementalistes, qui, comme chacun le sait, ne sont pas des lobbyistes mais des organisations travaillant pour le bien de tous. Et toute présentation d’une stratégie énergétique nationale présente inévitablement le risque de remettre en cause l’équilibre économique et politique entre les « gentils » et les « méchants ».
Dès la parution du projet, un chœur de « pleureuses » s’est donc manifesté :
- Côté écologie, en regrettant la part trop belle faite au nucléaire et en arguant que le projet ne faisait pas assez d’effort pour le climat
- Côté EnR en argumentant une insuffisance des investissements, particulièrement dans le domaine de l’éolien offshore
- Et enfin, côté gaz, un haut responsable d’Engie allant même jusqu’à dénoncer une « tentative d’assassinat de la filière biogaz » par la PPE, et en réclamant une nouvelle fois le maintien de l’objectif de 10 % de biométhane injecté d’ici 2030. Curieusement dans cette cacophonie vindicative, le grand gazier national Total s’est juste contenté de remarquer qu’il ne fallait pas aller trop vite dans la transition énergétique, au risque de générer des problèmes sociaux
L’oubli de la performance historique et du faible poids de la France
A travers cette cacophonie d’intérêts industriels et commerciaux bien compris, la France cherche donc à produire une stratégie climatique à 10 ans, mais si l’intention est vertueuse, notre pays pèse trop peu pour espérer que sa vertu fasse basculer les choses. La France avec moins de 300 MtCO2 par an, émet 0,6 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) et en conséquence l’effet de son action sera quasi-nul au niveau mondial. En effet réduire de 40 % les émissions françaises représentent moins de 5 jours des émissions chinoises.
Ceci devrait amener logiquement notre PPE à la conclusion que, sur un plan purement climatique, notre action serait plus efficace en utilisant nos moyens financiers pour aider d’autres pays plus émetteurs.
Cependant la priorité de notre PPE devrait être de soutenir le développement de notre économie nationale avec une énergie sure et peu coûteuse, en diminuant sa dépendance extérieure (balance commerciale en particulier) tant au niveau des hydrocarbures qu’en matière de technologies, et en s’appuyant sur nos points forts dans le domaine des industries fournissant le secteur énergétique.
Des focalisations peu rationnelles
Or l’analyse des intentions de la PPE nous amène à constater des focalisations peu rationnelles dans sa structure.
Par exemple, si l’on cible en priorité – 40 % d’émissions de GES en 2030, pourquoi se donner ensuite un objectif de baisse de la consommation d’énergie finale sans préciser « fossile », ce qui pourrait conduire à baisser la consommation d’énergie renouvelable tout en laissant consommer de l’énergie fossile, et donc à ne pas atteindre la réduction de 40 % GES. L’objectif consistant à réaliser 27 % d’efficacité énergétique, sans préciser qu’il faut faire porter en priorité l’efficacité sur la consommation d’énergie fossile, procède de la même incohérence.
D’autre part la consommation d’électricité est supposée baisser entre 2018 et 2028 pour atteindre 438 TWh contre 473 actuellement (Voir p. 136). Comment peut-on porter sérieusement une telle hypothèse, quand le mix énergétique français repose sur 25 % d’électricité décarbonée et 75 % d’énergie fossile et qu’il s’agit de faire baisser les émissions générées par ces dernières ? Aucune autre économie majeure n’envisage de voir sa demande d’électricité régresser, l’hypothèse étant plutôt, dans la plupart des cas, de s’orienter vers une part de 50 %, la Chine ayant même une stratégie 100 % électrique pour 2050.
Encore plus étonnant, sur la période 2023/2028 la production renouvelable totale passerait de 392 à 540 TWh, soit + 148 TWh. Dans cette hypothèse, 2 TWh proviendraient de biocarburants, 15 TWh du biogaz et 51 TWh de la chaleur renouvelable. Nous pouvons donc en déduire que 80 TWh (soit 54 %) du nouveau renouvelable proviendraient de la production électrique, qui est justement la seule à être décarbonée dès à présent, curieuse logique systémique !
Enfin l’élimination à tout prix des dernières centrales à charbon, même si l’objectif est vertueux, ne représente pas une priorité si urgente qu’elle soit susceptible de remettre en cause la sécurité du système électrique, quand on a l’esprit que les 3 GW des centrales à charbon françaises représentent moins de 2 % du parc européen.
Un effort financier énorme pour un résultat non optimal
Sur le plan financier, dans un pays dont le budget n’est pas au meilleur sa meilleure forme et dont les contribuables expriment une certaine saturation, les hypothèses sont encore plus étonnantes.
En page 142 du projet, on peut lire qu’en 2028, selon les scénarios, nous pourrions disposer au maximum de 153 TWh d’électricité renouvelable intermittente, contre 371 TWh d’énergie nucléaire, du fait d’un début de réduction du parc.
Ensuite, en page 234, on peut lire une intention fort louable : « il faut assurer la compétitivité des prix de l’énergie ».
Mais arrive alors la page 251 qui explique qu’en additionnant les dépenses déjà engagées et celles à engager pour atteindre les objectifs 2018, les dépenses publiques nécessaires pour développer l’éolien (onshore et offshore) ainsi que l’électricité solaire devront atteindre 107 Mds€ en 10 ans.
107 Mds € pour produire 153 TWh, alors que la prolongation du parc nucléaire, qui exige environ 45 Mds€, permettrait de produire environ 400 TWh par an…
Beaucoup de questions essentielles sans réponses
Mais finalement, ce qui est le plus étonnant dans ce projet de PPE, c’est ce qui ne s’y trouve pas. Et il ne s’agit pas de points de détails, mais de composantes essentielles de la politique énergétique :
- la trajectoire de la taxation carbone, explosée en plein vol par les « gilets jaunes » et qui devait atteindre 86€/t dès 2022
- la décision de construire de nouveaux réacteurs (décision reportée en 2021), alors qu’il va devenir essentiel de sécuriser la supply chain nucléaire sous peine de se retrouver en risque de perdre la maîtrise technologique de notre dernier et seul point fort en matière énergétique
- l’impact de l’évolution du parc nucléaire sur le cycle du combustible et sur l’équilibre économique des usines du cycle
- le futur du système Arenh, sur lequel repose le financement de la restructuration de l’appareil de production, financement profondément menacé par un attachement absurde au tarif réglementé de vente d’électricité ;
- la décision concernant la mise en œuvre d’un nouveau CEP (Coefficient d’énergie primaire) et d’un nouveau contenu carbone de l’électricité, essentiels à l’éradication des combustibles fossiles dans le bâtiment ;
- les mesures contraignantes sur les bâtiments tertiaires reportées au-delà de la PPE
- la vision des trajectoires d’emplois et de compétence permettant d’assurer la sécurité d’approvisionnement énergétique de la France
- le développement concret des interconnexions qui permettraient d’utiliser la capacité nucléaire française pour approvisionner la plaque CWE qui risque de se retrouver en pénurie, si l’arrêt des parcs nucléaires allemand, belge, suisse et espagnol se trouvait confirmé
En paraphrasant Jean-Yves Le Drian le 16 janvier dernier en Conseil des Ministres, qui avait déclaré au sujet de l’affaire des gilets jaunes : « il faut peut-être arrêter les bêtises ! », nous pouvons espérer qu’il est encore temps de construire une stratégie énergétique et climatique sensée qui permettrait à la France, à la fois de continuer à être un exemple mais également de garantir à son économie un approvisionnement énergétique sécurisé, compétitif et de plus en plus indépendant de l’externe. Mais ceci implique de retrouver de la rigueur et de s’extraire de la pollution générée par des lobbies plus court-termistes les uns que les autres.
Sinon notre PPE 2028 risque de se transformer très vite en Préparation de la Pénurie Energétique….
Jean-Jacques NIEUVIAERT, Président de la Société d’études et de prospective énergétique