Les français ont oublié le charbon…
Curieusement il est probable que les français, dans leur quasi-totalité, pensent que le charbon, en tant que source d’énergie, fait partie de l’histoire, tant il est vrai qu’il n’assure plus que 3,5 % de la consommation d’énergie primaire nationale, et que les centrales à charbon françaises, depuis longtemps reléguées par le nucléaire au rang d’équipement d’appoint, ne représentent que 2 % de la capacité totale du parc électrique français.
….mais il constitue toujours une source vitale d’énergie au niveau mondial
Mais ce qui est vrai pour la France, constitue plutôt une exception au niveau mondial, car le charbon, près de deux cents ans après le début de la révolution industrielle, est toujours une source majeure d’énergie, qui assure 27 % de la consommation totale d’énergie et 38 % de la production d’électricité mondiale (Source : AIE). Ceci représente annuellement 5,8 milliards de tonnes, 85 % de cette consommation se répartissant entre la Chine, l’Inde et les USA.
Il continue en particulier à jouer un rôle essentiel dans l’industrie sidérurgique, la carbochimie ou les cimenteries, mais surtout les 2/3 sont utilisés pour produire de l’électricité. Ainsi, en 2018, l’AIE a relevé une hausse de sa consommation mondiale de + 1 %, due à la demande d’électricité (une première depuis 2013), la part du charbon dans la production d’électricité étant restée assez stable depuis vingt ans, autour de 40 %.
D’autre part, dans l’ensemble du G 20, si les subventions directes annuelles aux mines ont baissé de 22 à 10 Mds$ entre 2014 et 2017, celles destinées aux centrales électriques à charbon sont passées dans le même temps de 17 à 47 Mds$ (source : Overseas Development Institute / Rapport du 25 juin 2019). Les pays les plus engagés financièrement ont été l’Inde et la Chine, suivi par le Japon, l’Afrique du Sud et la Corée du Sud, ce qui prouve l’intérêt persistant pour cette énergie.
Le charbon, un problème climatique…
Pourtant le charbon est devenu en quelques années la bête noire du climat, parce qu’il y a un lien très clair entre consommation de charbon et émission de GES. Celui-ci est en effet la source de 43 % des émissions mondiales de GES, la combustion d’une tonne de charbon pour produire 1 MWh émettant 960 kg de CO2, contre seulement 780 kg pour le pétrole, 440 kg pour le gaz naturel, et quasiment rien pour les EnR et le nucléaire.
….. ce qui en fait le pestiféré des financiers
Sur la base de cette constatation et sous la pression de nombreux organismes sensibilisés aux conséquences du dérèglement climatique, de plus en plus d’institutions financières commencent à prendre des mesures d’exclusion de financement frappant les secteurs charbonniers ou ceux qui utilisent le charbon. Il en va ainsi :
Des Etats
Au niveau étatique, parmi les 21 Etats-membres de l’UE utilisant du charbon pour produire de l’électricité, dix ont prévu d’en sortir avant 2030. Il n’en resterait donc que onze à conserver l’usage du charbon en 2030 (essentiellement la Pologne, l’Allemagne, la République Tchèque, la Bulgarie, la Roumanie et la Grèce). La capacité totale de l’Europe pourrait ainsi passer de 143 GW actuellement à 60 GW en 2030.
Le 12 juin 2019, le parlement norvégien a voté une instruction pour le Statens Pensjonsfond Utland de désinvestir plus de 13 Mds$ des entreprises charbonnières, pétrolières et gazières et de réinvestir 20 Mds$ dans les entreprises ou projets d’énergie renouvelable.
Des banques
Dans une déclaration faite le 4 juin 2019, le Crédit Agricole a rejoint les institutions financières qui prônent d’exclure de leurs financements les utilities produisant d’électricité à partir du charbon. Amundi, la filiale d’asset management du groupe, qui gère environ 1 800 Mds€ d’actifs, exclura à partir de 2030 les financements pour les utilities qui utilisent le charbon dans l’UE et l’OCDE, à partir de 2040 pour la Chine et à partir de 2050 pour le reste du monde. Les utilities européennes particulièrement concernées par cette décision sont RWE, Uniper, CEZ, Endesa et PGE.
BNP Paribas SA a également annoncé qu’elle ne financerait plus les producteurs d’électricité polonais à cause de leur dépendance par rapport au charbon. Ces producteurs avaient déjà été placés sous surveillance par la banque en 2017. Le retrait sera progressif, mais la banque vise à supprimer son exposition dans ce domaine d’ici 2028. L’exposition de la banque au charbon, dans le domaine de la production d’électricité, est passé d’un maximum de 38 % à 20 % actuellement, avec un objectif de sortie totale en 2040.
Des compagnies d’assurance
Le 30 mai 2019, la compagnie d’assurance Nationale Nederlanden (NN) a annoncé qu’elle ne proposerait plus de services d’assurances aux entreprises qui tirent plus de 30 % de leurs revenus de l’extraction de charbon ou qui utilisent au moins 30 % de charbon pour produire leur électricité. Le ratio sera abaissé à 5 % en 2030. NN, qui est également un des plus gros investisseurs dans le secteur charbonnier polonais, a présenté comme autre objectif, que ses investissements dans le secteur charbonnier soient proches de zéro en 2030. NN rejoint ainsi Allianz, Vienna Insurance Group et Hannover Re.
En synthèse, selon un rapport de l’IEEFA (Energy Economics and Financial Analysis), publié le 5 juin 2019, plus de 100 organisation financières majeures ont commencé à imposer des restrictions sur les investissements dans le secteur charbonnier et à développer les financements renouvelables. La World Bank avait été la première en 2013 et la centième a été l’EBRD en 2018.
Mais certains pays ne peuvent se passer de charbon…
Mais ces décisions de plus en plus convergentes du secteur financier occidental risquent de générer des effets inattendus. En effet ces décisions sont prises sans réellement tenir compte des différences de typologie charbonnière entre les Etats et sont en train de transformer l’enjeu climatique du charbon en enjeu politique.
Par rapport au charbon, les Etats peuvent en effet se classer en cinq groupes (Base Enerdata 2017) :
- Les gros producteurs de charbon qui cherchent à diminuer la part du charbon dans leur mix électrique : Chine (68 %), USA (31 %), Australie (65 %)
- Les Etats qui souhaitent mettre en valeur leur ressource charbon : Philippines (50 %), Vietnam (34 %)
- Les Etats qui cherchent à diversifier leur mix électrique : Japon (33 %), Corée du Sud (46 %), Malaisie (45 %)
- Les gros producteurs de charbon où la part du charbon dans le mix électrique continue à progresser : Indonésie (58 %), Inde (75 %), Turquie (33 %)
- Les pays qui renoncent au charbon : UE (19 %)
La première remarque est que l’UE est le seul espace géographique à envisager une sortie totale du charbon entre 2030 et 2050, tout simplement parce que c’est l’ensemble régional qui en dépend le moins.
Ensuite, l’ostracisme financier en vogue ne prend pas en considération le fait que pour de nombreux pays, le charbon est une ressource interne leur assurant indépendance financière et sécurité d’approvisionnement. Il faut également considérer que pour beaucoup d’économies en forte croissance et donc avec une demande d’électricité en très forte hausse, celle-ci ne saurait être satisfaite uniquement par des EnR intermittentes ou par des investissements fortement capitalistiques, comme le nucléaire ou l’hydraulique.
Ainsi, l’Inde est partagée entre son objectif de réduire ses émissions et la nécessité de conserver l’usage du charbon pour faire face à la demande. Actuellement les 356 GW de centrales à charbon en service assurent 56 % de la production totale d’électricité et l’objectif est de réduire cette part à 45 % à la fin 2022 mais avec une capacité portée à 480 GW ! Dans ces conditions l’Inde souhaite développer des centrales USC, dont la première unité de 660 MW sera mise en service en juin 2019.
De même la Chine, tout en se posant en champion de la transition énergétique en tablant sur un passage du charbon dans le mix électrique de 72 % en 2015 à 47 % en 2040, disposera toujours à cette époque d’environ 1 000 GW de centrales pour une consommation proche de 4 Mds de tonnes de charbon et ceci malgré un développement massif des EnR et du nucléaire (Source : AIE). Le seul progrès significatif sera la mise en œuvre de centrales plus performantes de type USC. Mais la consommation chinoise de charbon sera aussi impactée par les besoins croissants de l’industrie chimique.
Mais même pour une économie développée comme celle des Etats-Unis, la disparition du charbon n’est pas envisageable à court terme. L’US-EIA estime que la production globale devrait diminuer de 7,4 % en 2019 pour atteindre 699,8 Mt et encore de 8,8 % en 2020 pour se caler à 638,1 Mt. Cette évolution s’accompagnera de celle du mix électrique, la part du charbon passant de 27 % en 2018, à 24 % en 2019 puis à 22 % en 2020.
Même son de cloche du côté européen, où le gouvernement allemand, qui a adopté le 22 mai un plan d’accompagnement de la sortie du charbon, n’a pu fixer que la date fort éloignée de 2038 pour la sortie définitive. La CDU a ainsi cédé aux réticences de ses membres, plus sensibles aux intérêts des entreprises allemandes qu’à la protection du climat.
….Le charbon, une nouvelle arme géopolitique
Donc priver les Etats, et en particulier les émergents les plus pauvres, de financement dans le secteur charbonnier peut conduire à générer des crises économiques et sociales, voire politiques et surtout donner à d’autres acteurs un levier d’influence considérable. C’est ce que la Chine a parfaitement compris, en offrant, dans le cadre de sa stratégie BRI, des financements très souple et de la technologie pour les projets charbonniers, là où les pays occidentaux se contentent de promesses pour aider au développement des EnR, mais sans financements vraiment sérieux à l’appui.
Ainsi, sur les 67 GW de nouvelles centrales à charbon bénéficiant actuellement de financement internationaux, 80 % sont financées par la Chine, le Japon et la Corée du Sud. La Chine, à elle seule, a investi 36 Mds$ dans ce domaine au profit de 23 pays, dans le cadre de la BRI. Sont en particulier concernés l’Indonésie, le Vietnam, l’Afrique du Sud et le Bangladesh.
Ultime paradoxe, à l’aide de financements indiens ou chinois, il est fascinant de voir 18 pays non charbonniers jusqu’à présent, se tourner vers cette source énergétique, dont 9 en Afrique, trois en Amérique centrale, deux au Moyen-Orient et trois en Asie (dont le Bangladesh). D’ici 2025, 65 centrales pour 50 GW (Une capacité proche du parc nucléaire français) pourraient être mises en service dans ces pays.
Le résultat concret de cet ostracisme financier risque donc d’être une perte d’influence majeure des pays occidentaux dans les zones asiatique et africaine et de faciliter encore le développement de l’initiative géopolitique chinoise visant à dominer l’économie mondiale.
Finalement l’avenir du charbon n’est donc pas si noir !
De façon globale, le futur destin du charbon va être lié :
- Au fait qu’il est facile à transporter, qu’il est peu cher, qu’il utilise des technologies parfaitement maitrisées, qu’il est abondant et beaucoup mieux réparti géographiquement que les hydrocarbures
- A l’augmentation du taux d’électrification des pays émergents et au déploiement de nouveaux usages électriques partout dans le monde (véhicules, digitalisation, climatisation…)
- A l’émergence, en particulier au Japon ou en Chine, des technologies CCU (Carbon Utilization) et CCS (Carbon Storage)
Enerfuture estime donc que la part du charbon dans le mix électrique mondial ne baissera que d’une dizaine de points d’ici 2040, et que la seule baisse vraiment significative sera celle de l’UE.
Ainsi, même si de nombreux experts se complaisent à annoncer la mort inéluctable du pestiféré, le charbon, non seulement ne disparaîtra pas d’ici le milieu du siècle, mais il risque en plus de s’inviter dans la lutte pour la domination économique mondiale à laquelle se livrent les puissances occidentales et asiatiques.
Jean-Jacques NIEUVIAERT, Président de la Société d’études et de prospective énergétique