| Face au constat de l’urgence climatique, le « Pacte vert pour l’Europe » a pour objectif affiché d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Ce projet d’ampleur se heurte aujourd’hui aux incertitudes successives engendrées par les années de pandémie, l’inflation des prix de l’énergie et la guerre en Ukraine.
Pourtant, la transition engagée vers une économie à faibles émissions carbone représente aussi un formidable vecteur d’innovation, de sécurité énergétique et de créations d’emploi verts.
Quels leviers mettre en place pour accélérer cette transition et se donner, collectivement, les chances du succès ?
Dans une note consacrée à cette question, nos experts identifient 4 grandes pistes d’action.
Avec une conviction : la multiplication des passerelles entre sphères politique et économique devrait pousser à un découpage des rôles: d’un côté des objectifs réglementaires fixés à un niveau institutionnel, de l’autre la question des moyens pour y parvenir laissée aux entreprises.
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1. VERS UN MIX ÉNERGÉTIQUE DÉCARBONÉ ET ÉQUILIBRÉ À L’ÉCHELLE EUROPÉENNE
Le sixième rapport du GIEC est sans appel : l’urgence climatique est plus pressante que jamais, et effectuer une transition énergétique rapide et pragmatique est une nécessité absolue. Face à ce constat, l’Union Européenne a présenté une série de mesures, le « Pacte vert pour l’Europe », avec pour objectif affiché d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Ce projet d’ampleur se heurte aujourd’hui aux incertitudes successives engendrées par les années de pandémie, l’inflation des prix de l’énergie et la guerre en Ukraine. Alors que l’UE avait fait du gaz naturel l’un des piliers de sa transition énergétique, elle doit désormais effectuer la sortie de sa dépendance au gaz russe à marche forcée, créant de fait un appel d’air pour d’autres pays exportateurs.
Malgré ces remous, l’Europe doit conserver l’idée de stratégie collective qui caractérise son Pacte vert. Atteindre la neutralité carbone implique de passer d’un système centré sur les énergies fossiles (deux tiers de l’énergie consommée en Europe), à un mix constitué majoritairement d’énergies dites « vertes ». Cela ne peut se faire sans la prise en compte des disparités énergétiques entre les pays européens. Il est primordial que les logiques de proportionnalité et de solidarité entre Etats membres persistent et soient révisées à l’aune du contexte géopolitique actuel. Un manque de cohésion du bloc pourrait entrainer un repli national de certains membres parmi les 27, ce qui fragiliserait la crédibilité européenne à l’international et minimiserait les chances de succès du Pacte vert pour l’Europe.
Pour éviter un tel scénario, il est essentiel que le futur mix énergétique européen inclue des sources plurielles. S’il semble évident que la part des énergies fossiles doive baisser, une transition mal planifiée et dogmatique serait contre-productive. Les énergies dites décarbonées présentent toutes des inconvénients qu’il est nécessaire d’anticiper pour atteindre un mix viable en 2050. Outre l’intermittence souvent évoquée pour le solaire et l’éolien, les sources d’énergies alternatives posent par exemple des questions de souveraineté, d’intensité technologique ou d’entretien. L’objectif est donc d’assembler efficacement l’ensemble des sources et des moyens de produire de l’énergie afin d’en optimiser les avantages.
Cette optimisation passe également par la garantie d’un juste équilibre entre l’offre et la demande à l’échelle continentale. Un mix européen plus vert et plus divers demande de prendre en compte les points forts et faibles des différents membres pour assurer résilience et efficacité du réseau. Afin d’éviter des déséquilibres entre Etats, l’Europe doit absolument intégrer des logiques de redistribution entre les 27 en jouant sur les énergies pilotables et non pilotables. L’installation de réseaux électriques intelligents interétatiques serait par exemple un moyen d’équilibrer précisément et en temps réel les productions électriques du continent.
Cette planification de long-terme est le socle de la reconstruction d’une stabilité énergétique, propice à la croissance et au développement de la production. Les initiatives proposées dans le Pacte vert sont une première étape mais il est désormais nécessaire de créer un consensus à l’échelle de l’Union sur les moyens d’atteindre les objectifs fixés pour 2050 et sur les feuilles de route étatiques.
2. POUR UN PRIX DU CARBONE RÉELLEMENT INCITATIF
La tarification du carbone est l’une des mesures réglementaires à disposition des Etats pour accélérer leur décarbonation. Elle prend généralement la forme d’une taxe ajoutée au prix de vente d’un produit ou service selon son intensité carbone, ou de la création d’un marché carbone entrainant la tarification des émissions. Si aujourd’hui environ un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) et 60% du PIB mondial sont couverts par un mécanisme de tarification du carbone, la mesure se heurte néanmoins à certaines limites.
Tout d’abord, ces statistiques ne prennent pas en compte le prix de la tonne équivalent carbone selon les régions ou marchés étudiés. Aujourd’hui, trois quarts des tarifications mentionnées établissent le prix de la tonne à moins de 15$. Pour que la mesure possède un réel impact environnemental, cette valeur devrait être située entre 80$ et 100$.
Il faut également tenir compte de problèmes plus structurels. La tarification du carbone n’est viable qu’à l’échelle mondiale. Dans une économie globalisée, une tarification régionale ou nationale fragilise le marché local au détriment de marchés qui n’appliqueraient pas de mécanisme semblable. Pour pallier ce déséquilibre, la mise en place unilatérale de mesures d’ajustement est tentante mais comprend des enjeux économiques, aux répercussions parfois politiques. En témoigne le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) mis en place par l’Union Européenne (UE) dans son programme Fit-for-55. Visant à ajuster le prix des biens importés depuis les pays non-membres, cette mesure a été vivement critiquée à l’international pour son caractère protectionniste.
Deuxièmement, il est illusoire d’envisager un prix unique du carbone dans le monde, tant les coûts de production et niveaux de vie varient d’une région à l’autre. Une telle mesure désavantagerait les pays du Sud et ne serait que peu incitative pour ceux du Nord. Enfin, mettre un prix sur le carbone possède un coût social et politique important. Dans le cas d’une taxe carbone, les prix à la consommation sont directement touchés et les résistances peuvent être intenses. Une bonne fiscalité écologique doit donc inclure la baisse d’autres impôts ou charges pour ne pas peser sur le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises.
Malgré ces inconvénients, la taxe carbone est largement encouragée à l’échelle internationale. En mai dernier, le FMI recommandait d’étendre les mécanismes de tarification, mettant en avant la création de recettes pour les Etats. La tendance semble donc bien engagée et, dans de nombreux cas, augmentera les contraintes pour les acteurs économiques. Outre les enjeux financiers, ces contraintes seront aussi d’ordre administratif ou logistique : le MACF européen prévoit par exemple que les acteurs économiques apportent eux-mêmes la preuve du contenu carbone des produits importés depuis des pays tiers. Il est essentiel que les entreprises accompagnent ce changement de paradigme en se montrant proactives dans leur façon de s’adapter aux nouvelles réglementations. Les risques politiques, économiques et sociaux induits par la taxe carbone seront mieux anticipés si le monde économique se montre capable d’apporter des solutions aux points de tensions actuels, avec pour objectif final de minimiser les répercussions sur les populations.
3. POUR UNE POLITIQUE INDUSTRIELLE AXÉE SUR LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE ET ÉCOLOGIQUE
En 2020, le secteur de l’industrie (hors industrie de l’énergie) représentait environ 12% des émissions de gaz à effet de serre dans l’Union Européenne, et représentait 23,5% de son PIB, faisant de l’Union Européenne la troisième puissance industrielle mondiale derrière la Chine et les Etats-Unis. La compétitivité entre ces trois puissances bat son plein. L’Union Européenne, avec sa doctrine libérale de non-intervention, peine à suivre le rythme face à des concurrents aux politiques de financement massifs de l’industrie et la décarbonation, favorisant fortement leur transition écologique.
Dans l’Union Européenne, l’industrie manufacturière a réduit de 40% ses émissions entre 1990 et 2020 (selon l’AEE 2020). Si la diminution des émissions traduit un effort des acteurs de l’industrie à travers la mise en place de procédés avec une meilleure efficacité énergétique, elle cache parfois derrière cette baisse une augmentation de la « pollution exportée », due à des délocalisations de production de plus en plus nombreuses, et des importations en augmentation, alourdissant le bilan carbone du secteur du transport.
Aujourd’hui, l’attractivité et la compétitivité de l’Union Européenne face à ses rivaux reposent sur sa capacité à se décarboner rapidement et efficacement, en raisonnant à la maille de l’écosystème, de bout en bout de la chaîne de valeur. Pour réussir sa transition écologique et atteindre la neutralité carbone à horizon 2050, l’UE se doit donc de repenser sa politique industrielle avec ces objectifs de décarbonation en tête.
Une politique industrielle axée sur la transition écologique permettrait d’assurer la pérennité du secteur grâce à l’activation de nombreux leviers :
- La stimulation de l’innovation via la recherche de solutions technologiquement durables (ex. stockage du carbone, efficacité énergétique, nouveaux modes de déplacements…) aidant ainsi à réduire l’impact sur l’environnement
- La création d’emplois verts en développant de nouveaux secteurs liés à l’environnement (énergies renouvelables, gestion des déchets, gestion de l’eau…) Cet essor des nouveaux métiers contribue à la croissance verte
- L’amélioration de la compétitivité grâce à l’adoption de pratiques durables qui permettent de mieux s’adapter aux nouvelles réglementations et obligations écologiques, les plaçant en meilleure position que leurs compétiteurs moins verts. Le développement des normes sur la transition écologique pousse de plus en plus les entreprises à raisonner à la maille de l’écosystème et non plus seulement interne, et à décarboner leur chaine de valeur de bout en bout. Les entreprises les plus vertes commencent à intégrer des critères environnementaux comme critères de décisions stratégiques et d’évaluation de la performance
- L’accès aux investissements d’acteurs financiers et de consommateurs de plus en plus regardant sur la pérennité écologique des entreprises. Le risque écologique représentant en effet un risque financier grandissant pour les banques et autres investisseurs, ceux-ci abandonnent petit à petit les investissements carbonés pour les transformer en budgets « verts », comme l’a témoigné la sortie d’Exxon mobil du Dow Jones en 2020, à qui les investisseurs reprochaient un impact trop néfaste sur l’environnement
Le nombre de financements publics comme privés dédiés à la décarbonation des entreprises est conséquent, comme les 54 milliards d’euros investis à travers le dispositif France 2030 qui vise à accélérer la transformation des secteurs clés de l’économie française, et qui ambitionne d’accompagner 1752 projets innovants. Ces financements s’avèrent cependant difficiles d’accès car de nombreux acteurs ne sont pas prêts à déclencher une vraie démarche de transition. C’est pourquoi il est essentiel d’accompagner le tissu industriel dans sa démarche de transition et ainsi lui permettre d’accéder à ces investissements de décarbonation.
4. VERS UNE PLANIFICATION ÉCOLOGIQUE À L’ÉCHELLE EUROPÉENNE
Les mesures et objectifs inclus dans le Pacte Vert Européen requièrent une action soutenue et coordonnée sur les décennies à venir. Cette nécessité se heurte aux réalités politiques des 27, et leur lot de mouvements d’agendas et de calculs parfois opportunistes. A moyen et long terme, la multiplication de signaux politiques contradictoires encourage le maintien d’un statu quo écologique, mettant en péril le respect des objectifs fixés à l’horizon 2050 et dégradant la compétitivité du bloc face à des puissances comme la Chine ou les Etats-Unis. L’exemple de la politique industrielle est frappant : l’Inflation Reduction Act mis en place par Washington en 2022 prévoit l’investissement de 400 milliards de dollars dans la transition industrielle, soulignant du même coup le lien fondamental entre écologie et industrie. Au même moment, l’Europe peine à trouver un consensus sur les secteurs à prioriser. Or, sans une stratégie aux dimensions semblables, portée par un élan collectif et coordonné, les industries clés pour transformer les modèles de production européens risquent de couler, à l’image du photovoltaïque – marché aujourd’hui largement dominé par la Chine.
Une meilleure coopération des mondes économique et politique est l’une des conditions pour éviter ce scénario. Politiquement, les objectifs fixés doivent être clairs, stables sur le long terme, et distincts des mandats et agendas politiques. Le Pacte vert européen est un bon exemple de la puissance normative des institutions européennes mais il subsiste des désaccords sur certains objectifs, notamment à moyen terme, qui devront être résolus au plus vite. Economiquement, il est crucial que les acteurs économiques se responsabilisent et prennent des engagements forts à long terme. Des progrès ont été faits : beaucoup d’entreprises ont déjà intégré à des degrés divers les impacts du changement climatique dans leur stratégie. Mais ces initiatives sont encore disparates et manquent d’une structure globale.
La multiplication des passerelles entre sphères politique et économique devrait donc pousser à un découpage des rôles, avec d’un côté des objectifs réglementaires fixés à un niveau institutionnel et de l’autre la question des moyens pour y parvenir laissée aux entreprises. Il est important que les acteurs économiques disposent de marges de manoeuvre suffisantes pour s’adapter aux contraintes présentes et futures : imprévisibilité du changement climatique et au progrès technologique, particularités économiques, politiques et sociétales de chacun des membres de l’Union… Multiplier des normes trop spécifiques n’est donc pas souhaitable. Par exemple, est-il pertinent de fixer l’interdiction à la vente des moteurs thermiques à une date rapprochée ?
Si elle est menée efficacement, cette coopération doit permettre l’émergence d’une UE stratège, capable de réfléchir aux impacts de long terme de ses politiques et d’anticiper les enjeux complexes à venir : éviter une délocalisation des émissions, anticiper le renouvellement des parcs éoliens et solaires, définir des objectifs de relocalisation industrielle, prioriser les secteurs industriels clés… Avec comme corollaire la production de normes efficaces et le maintien d’une économie concurrentielle.
EN SAVOIR PLUS
Notre accompagnement
Eurogroup Consulting est très engagé sur les problématiques de transition écologique et énergétique, en particulier auprès des acteurs de l’énergie et de l’industrie.
Nos experts accompagnent depuis plus de 30 ans les grands énergéticiens français et l’ensemble des acteurs du secteur de l’énergie en France, en Europe et dans le monde, ainsi que les acteurs industriels, grands groupes et ETI.
Au quotidien ce sont près de 80 consultants qui aident ces acteurs dans la définition de projets stratégiques et dans le cadrage et la mise en œuvre des leurs transformations organisationnelle, managériale et numérique.
Thibault Guibert
Associé
François Pouzeratte
Associé