Alors que l’attractivité de la fonction publique constitue le chantier majeur du ministre de la Transformation et de la Fonction Publiques, Stanislas Guérini a présenté le 12 juin 2023 un ensemble de mesures de revalorisation du pouvoir d’achat pour l’ensemble des agents de la fonction publique.
Ces mesures entendent répondre aux préoccupations des fonctionnaires, dans un contexte de forte inflation, mais également aux difficultés de recrutement et d’attraction de certains métiers et profils.
Si la rémunération seule ne constitue pas un levier suffisant pour résoudre les problématiques liées à l’attractivité, elle n’en demeure pas moins un élément structurant. Or, dans la fonction publique, les règles qui encadrent la rémunération des agents sont principalement fondées sur des logiques statutaires qui laissent peu de marges de manœuvre aux administrations.
Aujourd’hui, c’est finalement sur le volet indemnitaire – qui représente en moyenne entre 15 et 30% de la rémunération des agents – que les employeurs publics peuvent envisager de concentrer leurs efforts pour gagner en flexibilité et mieux répondre à leur stratégie et leurs ambitions RH.
Pour les DRH publiques, l’enjeu est de mettre l’outil du RI au service d’une politique salariale globale, cohérente et affirmée – intégrant l’ensemble des autres composantes de cette politique – au service du renforcement de l’attractivité et de la fidélisation de leurs agents.
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1. PRINCIPAUX LEVIERS DE L’ATTRACTIVITÉ
Penser l’attractivité revient à s’interroger simultanément sur plusieurs dimensions au fondement de l’expérience agent. Les leviers de l’attractivité dans la fonction publique peuvent être résumés tels que ci-après :
La rémunération est à la fois une composante et un levier au service du renforcement de l’attractivité, à prendre en compte dans le cadre d’une réflexion globale autour de l’attractivité. Néanmoins, et plus particulièrement dans le secteur public, le sujet de la rémunération en tant que tel peut sembler a priori contraint, alors même qu’il fait l’objet de revendications saillantes dans la période actuelle.
Ainsi, l’attractivité ne peut se résumer aux seuls éléments de rémunération sans prendre en considération l’ensemble des éléments qui participent à l’expérience de l’agent : qualité du cadre de vie et de l’environnement de travail, dynamisme du poste et des projets à mener, valeurs véhiculées et portées par l’employeur, conditions de travail et de management, les perspectives de développement de carrière et de compétences, etc. C’est la combinaison de ces différents facteurs, avec celui de la rémunération, qui permet de définir un cadre d’expérience agent satisfaisant.
2. LA RÉMUNÉRATION : COMPOSANTE IMPORTANTE – MAIS NON EXCLUSIVE – DE L’ATTRACTION ET DE LA FIDÉLISATION DES AGENTS
Dans un contexte marqué par une importante inflation, la question des salaires et du pouvoir d’achat se pose de façon particulièrement aigue. L’enquête réalisée en octobre 2022 par l’IFOP pour l’Observatoire des politiques publiques révèle ainsi que le sujet de la rémunération constitue un frein à se projeter au sein de la fonction publique, notamment chez les jeunes.
De même, le rapport de la conférence sur les perspectives salariales de la fonction publique publié en mars 20222 met en exergue qu’une part importante (plus de 40%) d’agents de la fonction publique s’estiment mal payés, avec des disparités liées aux statuts et aux métiers. Cette crispation autour de la question de la rémunération est par ailleurs exacerbée par des conditions de travail jugées dégradées, que ce soit en termes de niveau de charge croissant, d’organisation du travail ou encore d’environnement de travail (management, relations avec les administrés, immobilier, …) et d’équipement.
L’enjeu autour de l’attractivité est aujourd’hui de pouvoir prendre en compte et conjuguer la rémunération avec les nombreux facteurs qui concourent à une expérience agent satisfaisante :
- La nature du métier et des fonctions exercés
- La tension sur les compétences détenues
- Le niveau de carrière
- La pénibilité du travail effectué
- Le niveau de reconnaissance
Néanmoins, dans la fonction publique, l’idée de modulation/adaptation de la rémunération au profil ou au métier suscite des réticences. Elle serait en effet susceptible de contrevenir au principe de traitement homogène des agents d’un même corps/grade, en introduisant de nouveaux paramètres de différenciation fondés sur des logiques moins administratives.
3. PRINCIPES DE RÉMUNÉRATION DANS LA FONCTION PUBLIQUE
UNE RÉMUNÉRATION PRINCIPALE TRÈS ENCADRÉE DANS SES MODALITÉS D’ÉVOLUTION
La rémunération d’un agent public, appelée traitement, est composée d’une part indiciaire – fondée sur une logique corps / grade / échelon – et d’une composante indemnitaire fondée principalement sur les fonctions et responsabilités occupées³. Le traitement indiciaire, qui constitue la part principale du traitement d’un fonctionnaire, est établi sur la base de l’échelon de l’agent, lié à son grade dans un corps, qui détermine son indice brut, lui-même rattaché à un indice brut majoré barémisé par Décret. L’indice minimal de rémunération est indexé sur le SMIC, ce qui a d’ailleurs conduit à un tassement des grilles dans un contexte de gel du point d’indice. A ce titre, et pour exemple, un agent en catégorie C devra attendre 12 ans en moyenne pour que son indice majoré dépasse le niveau du SMIC.
Si ce système est particulièrement encadré, différents leviers peuvent néanmoins être activés au service de la dynamique de la rémunération. Ils touchent à :
- la revalorisation du point d’indice (centralisée)
- la progression de carrière de l’agent (progression dans la grille indiciaire)
- ou encore, la modulation du régime indemnitaire
UN RÉGIME INDEMNITAIRE EN COURS DE RATIONALISATION
Alors qu’elle constitue près du quart de la rémunération d’un agent, la composante indemnitaire recouvre un large panel de primes et d’indemnités. Le rapport de la Conférence sur les perspectives salariales de la fonction publique précité souligne par ailleurs la nécessité d’améliorer la lisibilité des dispositifs de rémunération indemnitaires et de les rationaliser. C’était d’ailleurs selon ces objectifs que le Décret 2014-5134 a porté création du RIFSEEP – Régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel – qui vise à se substituer à la plupart des primes et indemnités.
Il est constitué de deux catégories :
- L’IFSE, indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise, liée à la nature du poste occupé, aux qualifications et aux compétences, et qui représente près de 90% de la rémunération indemnitaire
- le CIA, complément indemnitaire annuel, lié à la reconnaissance de la performance individuelle et de l’engagement professionnel, et qui pèse pour 10% de la rémunération indemnitaire
Aux côtés de ces deux catégories du RISFEEP, d’autres primes et indemnités subsistent cumulativement et sont fixées par arrêté.
L’enjeu de la mise en œuvre du RIFSEEP était triple :
- Simplifier le paysage indemnitaire et améliorer sa lisibilité pour les agents ;
- Accompagner le passage d’une logique statutaire vers une logique professionnelle et métier dans la manière de concevoir la rémunération des agents publics ;
- Rétablir de la transparence et de équité dans le traitement
UN LEVIER INDEMNITAIRE PARFOIS DIFFICILE À ACTIVER
Alors qu’il avait été pensé comme outil au service de l’attractivité, du développement managérial et de la gestion par les compétences, force est de constater, près de 10 ans après son lancement, que le RIFSEEP n’a pas permis de concrétiser les ambitions qui lui avaient été adressées.
En effet, malgré une volonté de valoriser l’encadrement et de faire converger les filières, l’IFSE reste pour la majorité des employeurs publics, attaché à une logique statutaire. Par ailleurs, on observe un très faible recours au CIA comme levier de rémunération de l’engagement des agents, notamment du fait des réticences et difficultés à objectiver une performance individuelle dans une culture très orientée équité de traitement5.
Enfin, des effets de concurrence ont pu être observés, notamment entre collectivités territoriales, à l’occasion du rééquilibrage des filières parfois moins favorable que dans les administrations voisines, encourageant ainsi une mobilité géographique des agents concernés.
Au-delà de ces premiers éléments, d’autres effets de bords doivent être pris en compte comme les freins à la mobilité interne et externe, dus à la persistance d’avantages indemnitaires pas toujours transposables.
4. QUELS DISPOSITIFS DÉPLOYER POUR RENFORCER L’ATTRACTIVITÉ DE LA POLITIQUE SALARIALE AU SEIN DE LA FONCTION PUBLIQUE NOTAMMENT LA TERRITORIALE ?
Si le régime indemnitaire – au prisme du RIFSEEP – semble n’avoir que partiellement atteint ses objectifs en termes de marge de manœuvre salariale à la main des DRH, d’autres leviers D’autres leviers existent, plus particulièrement au sein des collectivités territoriales, au service d’une politique salariale attractive, tels que : les prestations sociales, la protection sociale, le temps de travail, le temps dédié à la formation, etc. ainsi que tous les éléments de rémunération indirects.
RENFORCER L’ARTICULATION DU RÉGIME INDEMNITAIRE AVEC LES ENJEUX STRATÉGIQUES ET RH DE L’ADMINISTRATION
Malgré ses limites, le régime indemnitaire peut constituer, notamment pour les collectivités, un levier d’attractivité et de fidélisation, à condition de l’inscrire dans une stratégie RH affirmée. Selon les objectifs poursuivis et partagés il peut conduire à :
- Moduler favorablement, via une majoration spécifique, le régime indemnitaire des métiers en tension dans l’administration et pour certains agents contractuels aux profils, expertises et compétences recherchés
- Revaloriser, régulièrement, les filières les moins dotées, afin de contrôler l’évolution des écarts entre filières
- Renforcer la valorisation de certaines expertises et technicités ainsi que les contraintes métiers spécifiques
- Mieux reconnaitre et prendre en compte les responsabilités
- Clarifier et améliorer la lisibilité des règles d’attribution du régime indemnitaire, pour faciliter l’outillage des dispositifs de GPEEC et encourager certains parcours professionnels
- Faire valoir les objectifs RH poursuivis par l’employeur, en s’assurant d’une bonne compréhension et appropriation de ces enjeux par les agents.
Il s’agit en même temps d’identifier les effets de bords potentiels pour mieux les réduire. Par exemple, s’agissant de la mobilité, le rapport d’étude de l’INET du 5 juillet 20196 sur les leviers de la rémunération met en exergue la nécessité de construire le régime indemnitaire par groupe d’emplois pour favoriser les mobilités au sein du groupe d’emplois ou encore le développement et la valorisation des parcours professionnels.
MIEUX ACTIVER LE CIA
Enfin, le CIA, encore peu souvent investi et mobilisé, gagnerait à être davantage déployé en tant qu’instrument de politique de rémunération à la main des employeurs publics. Pour ce faire, il sera nécessaire de lever les freins culturels et managériaux pour en faire un instrument de recherche de motivation et de performance, individuelle ou collective. Cela passera par un accompagnement des cadres dans la définition précise des critères d’octroi et d’évaluation.
MOBILISER L’ENSEMBLE DES COMPOSANTES DE LA POLITIQUE SALARIALE AU SEIN D’UNE OFFRE DE SERVICE COHÉRENTE
La question de la rémunération doit être entendue au sens de politique salariale globale intégrant ses dimensions financières directes et indirectes qui impactent néanmoins très concrètement le pouvoir d’achat. Le rapport de l’INET partage plusieurs mesures clefs qui nécessitent des délibérations de la part des collectivités :
- La mise en place d’une politique de gestion de carrière favorable à l’avancement et la promotion des agents.
- Le développement de l’action sociale à travers 3 dimensions :
-Tout d’abord, les prestations d’aides à la vie quotidienne telles que l’aide au logement, l’attribution de places en crèches ou autres dispositifs de garde d’enfant, l’aide à l’emploi du conjoint notamment en cas de mobilité, l’accès aux loisirs, les aides aux vacances, etc.
-La protection sociale complémentaire ensuite, qui permet de soutenir partiellement les frais de santé et de prévoyance ;
-Enfin, les avantages en nature : participation aux frais de restauration, mise à disposition d’un véhicule, d’un logement de fonction, etc.
Il y a un véritable enjeu à élaborer une offre de service RH intégrant l’ensemble de ces éléments pour compléter la rémunération directe. L’étude note par ailleurs que dans le cadre d’une enquête menée par la Gazette et le CNAS en 2018, un tiers des bénéficiaires déclaraient recourir moins aux prestations sociales que 5 ans avant. En cause, près de la moitié d’entre eux les considéraient insuffisamment adaptées à leurs besoins, trop peu avantageuses ou manquant d’ancrage territorial.
Ainsi, l’offre de service RH en termes de politique salariale devra être contextualisée et adaptée aux spécificités territoriales ainsi qu’aux attentes des agents, en veillant à son accessibilité (communication RH, managériale, …).
CONCLUSION
AU-DELÀ DE LA RÉMUNÉRATION, PENSER UNE POLITIQUE SALARIALE ATTRACTIVE !
Si la rémunération est un des leviers importants de l’attractivité – d’autant plus dans un contexte d’inflation et de fortes tensions sur le marché du travail en termes de recrutement – elle doit être articulée avec les autres dimensions de l’expérience agent.
Bien que les règles de rémunération de la fonction publique – et sa culture – limitent certainement les possibilités de modulation et d’individualisation trop fortes, des outils existent pour permettre aux DRH de servir la stratégie et l’ambition de leur administration.
C’est en adressant l’ensemble de la politique salariale que des leviers au service de l’attractivité pourront être activés. L’enjeu est finalement de définir une offre de service à destination des agents pour leur délivrer un ensemble de prestations, aides, services, contribuant directement ou indirectement à leur pouvoir d’achat et à leur qualité de vie, et répondant à leurs attentes et leurs besoins.
Les contraintes évoquées plus hauts seront alors appréhendées comme une opportunité de repenser l’expérience
« rémunération » des agents, en conciliant entre eux de nombreux éléments structurant de l’attractivité.
EN SAVOIR PLUS
Bénédicte FÉRY
Directrice - Experte RH
Stéphane GEFFRIER
Associé, responsable de la filière Gouvernement, territoires et institutions