Il y a une dizaine d’années, un infectiologue américain évoquait « la prévisible nature imprévisible des agents infectieux ». Les crises sanitaire et climatique ont des points communs : elles requièrent toutes deux davantage d’anticipation et de coopération internationale.
La lutte contre la Covid-19 ne doit pas éclipser la lutte contre le réchauffement climatique. Des politiques efficaces offrent des bénéfices climatiques et sanitaires, à l’instar d’un plan européen massif de rénovation énergétique des bâtiments.
VERS UN MODÈLE ÉCONOMIQUE RÉSILIENT
La vulnérabilité du vivant et les effets systémiques et récurrents des crises mettent en évidence la nécessité d’accélérer la transition énergétique et écologique pour limiter le réchauffement climatique à un maximum de +1.5°C d’ici 2100. Le changement vers une économie bas-carbone et résiliente au changement climatique est impératif et tous les pays doivent y contribuer. La relance économique (aux niveaux national, européen, et mondial) doit intégrer les objectifs climatiques et environnementaux sans opportunisme idéologique. La solution réside dans une croissance décarbonée fondée sur des investissements dans les infrastructures vertes pour casser le lien entre croissance économique et émissions de gaz à effet de serre.
Comment réussir sa transition énergétique ?
De nombreux leviers comme la finance climatique, les marchés carbones, ou la fiscalité énergétique existent pour construire un nouveau modèle économique durable. Lorsqu’un mécanisme est mis en place, il doit l’être correctement pour obtenir des résultats écologiques et économiques.
Dans le cas de la France, il est primordial de tirer les enseignements de l’échec de la taxe carbone et du mouvement dit des « Gilets Jaunes » en 2018. En France, l’objectif est d’arriver à une économie neutre en carbone en 2050 dans le cadre de la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC).
La transition énergétique ne sera réussie qu’à trois conditions :
Ne pas détériorer la compétitivité des industries françaises
Ne pas ponctionner le pouvoir d’achat des citoyens
Préserver la sécurité d’approvisionnement électrique
Quels en sont les leviers et instruments ?
La taxe carbone, qui est l’un des instruments de cette transition énergétique, doit répondre à plusieurs principes pour être efficace et juste. Elle doit être concertée, progressive, redistributive, et transparente quant à l’allocation des recettes fiscales au financement de la transition écologique. La taxe carbone doit s’inscrire dans une réforme globale de la fiscalité pour garantir la neutralité en termes de prélèvements obligatoires. Cela signifie que toute hausse de la fiscalité écologique doit être compensée par la baisse d’autres impôts.
La fiscalité environnementale représente une part faible du PIB et des prélèvements obligatoires. Cela laisse donc une marge de manœuvre pour utiliser cette fiscalité à bon escient sans augmenter le niveau des prélèvements obligatoires. Pour cela, il faut respecter certains principes appliqués par les pays qui ont réussi (non sans difficultés !) à mettre en place une taxe carbone.
LES MÉCANISMES DE MISE EN PLACE D’UNE TAXE CARBONE
En Suède, la taxe carbone a abouti après deux ans de concertation. Elle est à environ 116 euros la tonne fin 2020 (versus 44,60 euros la tonne en France). Il a fallu attendre longtemps pour obtenir des résultats. Aujourd’hui, les bus fonctionnent au biocarburant. On dénombre une chute significative des particules fines et des dizaines de milliers de tonnes de CO2 ont été évitées. La taxe carbone vise à aiguiller les comportements. Elle doit s’inscrire dans une logique environnementale et non une logique de rendement budgétaire pour l’Etat. Le problème est sa dimension anti-redistributive, c’est-à-dire qu’elle affecte principalement les populations les moins favorisées, et disproportionnellement, les populations rurales.
Quels leviers d’action ?
Corriger la dimension anti-redistributive
Le premier principe est de mettre en place un mécanisme qui corrige cet aspect anti-redistributif d’autant plus essentiel quand la conjoncture économique n’est pas bonne. Ce mécanisme peut prendre la forme d’une prime dégressive versée aux ménages (une prime d’autant plus élevée que le revenu annuel du ménage est faible). La prime compenserait aussi la perte de pouvoir d’achat des ménages qui ne paient pas l’impôt sur le revenu. L’idée est que la prime intègre des éléments correctifs en fonction de la variabilité des prix du pétrole. La prime doit être ajustable, mais pas sous la forme d’un chèque énergie. Le chèque énergie présente trois limites principales : il n’incite pas vraiment à faire des économies d’énergie, peut parfois subventionner du chauffage au fioul émetteur de CO2 et est rapidement absorbé par les hausses annuelles du prix de l’électricité.
Quand la taxe carbone a été mise en place en 2014 à 7 euros, le prix du pétrole était bas. Avec un prix du baril faible, la taxe carbone était indolore. Le problème est que la politique menée ne tenait pas compte de l’évolution du prix de l’or noir. Or, lors des mouvements sociaux de fin 2018-début 2019, la hausse des prix du carburant était principalement liée à la hausse du prix du pétrole. L’augmentation a pourtant été perçue comme une conséquence de la fiscalité carbone qui a été le bouc-émissaire des contestations. En effet, l’automobiliste raisonne en fonction du prix du carburant, pas du prix du pétrole ou de la taxe carbone.
Elargir le signal-prix de la taxe carbone
Le second principe est d’élargir le signal-prix de la taxe carbone et de mettre fin progressivement aux exemptions et aux niches fiscales – comme le trafic aérien ou maritime notamment. Si on renchérit le coût de l’énergie pour les entreprises, il faut accompagner la hausse par des aides ciblées pour les secteurs concernés. Si demain, il y a une hausse du prix de l’énergie avec une hausse du coût de production du ciment, de l’acier, du verre… les entreprises vont finir par transférer cette hausse des coûts sur les consommateurs, et donc sur les prix. La hausse des coûts peut se propager de secteur en secteur et dégrader la compétitivité-coût des entreprises françaises. Il faut donc des mesures d’accompagnement, comme une baisse des cotisations sociales.
Réinvestir les recettes dans la transition écologique
Le troisième principe concerne le réinvestissement des recettes fiscales dans la transition écologique, tout en sortant des visions simplistes qui veulent réinvestir 100 %. Cela ne fonctionnerait pas pour deux raisons. La source d’une fiscalité écologique est une pollution, mais l’usage de cette fiscalité ne doit pas viser exclusivement la transition énergétique. Si 100 % étaient réinvestis dans la transition énergétique, la taxe carbone serait alors un nouvel impôt et ne permettrait pas d’accompagner financièrement les ménages et les entreprises. Un même euro ne peut pas être dépensé plusieurs fois. De plus, dans la tradition fiscale française, les impôts ne sont pas pré-affectés. Toutefois, c’est là une inquiétude légitime quand on voit que la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) a rapporté 37 milliards d’euros en 2018, et que seuls 7 milliards ont été réinvestis pour la transition énergétique (17 milliards sont allés au budget général de l’État, 12 milliards aux collectivités et 1,2 milliard aux infrastructures de transport).
PENSER CONJOINTEMENT LES POLITIQUES ENVIRONNEMENTALES ET SOCIALES
Tous les pays (pays Etats fédérés) où la taxe carbone a été acceptée socialement ont eu une approche favorisant la réalisation d’investissements significatifs dans la transition bas-carbone.
Au Québec, il existe un fonds 100 % climat qui a financé une vingtaine de programmes. En Suisse, la rénovation thermique des bâtiments a été financée. En Californie, il existe un fonds 100 % vert pour réinvestir dans la mobilité propre, les énergies propres et la gestion des déchets, avec, en plus, 35 % des fonds réinvestis en faveur des ménages les moins favorisés.
Ces exemples d’une fiscalité écologique efficace et juste montrent qu’il faut penser conjointement les politiques environnementale et sociale. Le péché originel de la fiscalité environnementale en France était de s’inscrire davantage dans une logique de rendement budgétaire, que dans une logique de lutte contre les nuisances environnementales.
La taxe carbone est une condition nécessaire, mais non suffisante. Elle doit être accompagnée d’un verdissement global de la fiscalité avec, par exemple, une TVA réduite sur les produits faiblement emballés ou recyclables. D’autres leviers, comme la finance climatique et la rénovation énergétique des bâtiments doivent être développés. La consommation énergétique des bâtiments contribue significativement à la consommation énergétique finale et aux missions de gaz à effet de serre.
La France a les moyens de réussir la transition écologique sans peser sur le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises !
Raphaël BOROUMAND, Docteur en économie, HDR, spécialiste de l’énergie et du climat
A lire
- Economie du bien commun, Jean Tirole, Presses Universitaires de France, 2016
- Energie – Economie et politiques, Jean-Pierre Hansen et Jacques Percebois, éditions De Boeck, 2015
- Economie et défis du réchauffement climatique, Charles S. Pearson, éditions De Boeck, 2013